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Le méthodisme : une réforme de l’anglicanisme ?

Auteur :
Patrick Ph. Streiff


Cet exposé se limite au méthodisme du XVIIIe siècle et sa relation avec l’Église d’Angleterre.
Publié dans :
Penser les R/réformes aujourd’hui : Actes du colloque tenu à Paris du 12 au 14 avril 2016. Paris, 2017 : Les éditions du Cerf. pp. 131-148.


1) La relation de John et Charles Wesley avec l’Église d’Angleterre (1)

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1 L’ouvrage qui traite le mieux la relation de John Wesley avec l’Église d’Angleterre, même s’il date de 1970, est : Frank Baker, John Wesley and the Church of England. Epworth Press, London 1970, second edition: Peterborough 2000.

1.1 La période avant le début du réveil

John (*1703) et Charles (*1707) Wesley sont nés dans une famille qui a délibérément choisi de quitter la dissidence et d’appartenir à l’Église d’Angleterre dans son aile de « haute tradition ». Le père Samuel était prêtre de l’Église d’Angleterre ; le fils aîné, Samuel junior (*1690) est devenu prêtre anglican, et les deux autres frères John et Charles ont suivi la même trajectoire. Après les guerres civiles du XVIIe siècle qui avaient ravagé le pays, il fallait stabiliser la société. L’Église et des institutions comme les universités y participaient. Le XVIIIe siècle devint le siècle d’une (relative) stabilité au niveau officiel de l’État et de l’Église, mais ce fut également le Siècle des lumières et des débuts de l’industrialisation.
Tous les frères Wesley ont eu une excellente éducation, basée sur un choix d’auteurs classiques, grecs et latins, et la science aristotélienne. John Wesley passa son baccalauréat ès arts (B.A.) en 1724, le maître ès arts (M.A.) en 1727. Seule une petite minorité d’étudiants poursuivait des études au-delà pour aspirer à des degrés théologiques (B.D., D.D.). John Wesley en faisait partie mais abandonne sa carrière universitaire suite au réveil. En 1726, il accède au grade d’agrégé de l’université (Fellow of Lincoln College, Oxford). C’était une position à vie – tant qu’on restait célibataire – avec un bon salaire de l’ordre de £ 60 par an. L’agrégé d’un collège universitaire devait conseiller les jeunes étudiants et donner des cours de langue ou de philosophie. Parmi les frères Wesley, John est celui qui poursuit le plus longtemps une carrière universitaire. À partir de 1729 et à l’initiative de son frère cadet Charles, des groupes d’étudiants se forment à Oxford et le frère aîné John, déjà agrégé de l’Université à ce moment-là, en devient très naturellement le leader. Les membres du groupe sont affublés de sobriquets tels que : les enthousiastes, les sacramentalistes, le club des réformes, le club pieux, le club saint, les méthodistes et autres. Finalement ce dernier nom « méthodistes » restera collé aux personnes du groupe lorsqu’un mouvement d’une toute autre nature, un réveil, éclatera plus tard. Durant la période à Oxford et jusqu’aux premières années du réveil, John Wesley prêche des sermons officiels devant l’université plus souvent que d’habitude. C’est un signe de grande estime des instances dirigeantes de l’université.

1.2 L’influence des Moraves et du piétisme de Halle

En 1735, John Wesley conjointement avec son frère Charles et deux autres compagnons du « club saint » embarque pour la toute nouvelle colonie de Géorgie en Amérique. Ils veulent y annoncer l’Évangile parmi les Indiens et John sera chargé d’organiser la vie ecclésiale anglicane parmi les premiers colons. Sur le bateau, ces « méthodistes d’Oxford » rencontrent des Moraves d’Allemagne et sont impressionnés par leur assurance du salut même au sein des plus fortes tempêtes et malgré les dangers de mort. Tout au long du séjour en Amérique, John et Charles Wesley restent en dialogue avec les Moraves et font également connaissance des piétistes de Halle et de leurs œuvres sociales. Charles ne reste que peu de temps en Géorgie. Finalement, John rentre également précipitamment en Angleterre. Lors de son voyage de retour, il est déprimé par le manque d’assurance et de stabilité de sa foi au milieu des épreuves.
John écrit dans un mémoire : « Je suis allé en Amérique pour convertir des Indiens : mais oh ! qui me convertira ! Qui et quoi me délivrera de ce méchant cœur incrédule ? Ma religion est une belle religion d’été ; je peux bien en parler ; et j’y crois moi-même tant qu’aucun danger n’est proche ; mais, quand la mort me regarde en face, mon esprit est troublé. »(2) L’image d’avoir une « religion d’été » est parlante. John Wesley se sent sur le bon chemin de l’Évangile. Depuis sa conversion à une vie sainte en 1725, il consacre entièrement sa vie à Dieu et exerce la charité. Mais une seule tempête, réduisant toute capacité humaine à néant, fait sombrer un tel évangile. Et la crainte de la mort revient. L’assurance du salut, indépendamment de sa résolution intérieure et de ses actes extérieurs, lui fait défaut. Il ne peut la trouver à travers ses œuvres.
De retour en Angleterre, John autant que Charles poursuivent leur dialogue avec des Frères moraves qui sont en transit de l’Allemagne vers la Géorgie. A travers ces discussions théologiques, accompagnées par des témoignages personnels de Frères moraves, les frères Wesley découvrent que le salut vient par la foi, par pure grâce et non par les œuvres, et que cette assurance du salut est donnée en un instant, car c’est un don de pure grâce. Convaincu doctrinalement, John le prêche avant d’en faire l’expérience lui-même. Charles en fait l’expérience le premier, John quelque jours plus tard à l’écoute de la description de la foi dans la préface de Martin Luther pour l’épître aux Romains.
L’interprétation de cette conversion évangélique de 1738 connaît des extrêmes. À l’époque du romantisme et du revivalisme du XIXe siècle, cet événement est considéré comme le point décisif et la pierre angulaire du méthodisme wesleyen, en net décalage avec la tradition anglicane. La date du 24 mai 1738 est célébrée. L’exigence de vivre une conversion instantanée et d’en connaître la date commence à être enseignée ; de même que l’exigence d’une expérience personnelle vécue au niveau des émotions. Puis, au début du XXe siècle, l’interprétation opposée, donnée par des chercheurs catholiques(3), met en avant la constance dans la théologie wesleyenne, c’est-à-dire la recherche de la sainteté qui avait déjà commencé en 1725. L’événement de 1738 est alors considéré comme l’interlude d’un protestantisme exagéré dont Wesley se libérera plus tard. En fait, dans ses rétrospectives, Wesley mentionne régulièrement sa consécration entière à Dieu et à une vie sainte en 1725 mais jamais la date de sa conversion évangélique de 1738. Dans les premières années qui suivent 1738, il parle de sa vie d’avant 1738 comme s’il n’avait pas été un chrétien ou même comme s’il ne l’était toujours pas. Plus tard, à partir des années soixante et surtout des années soixante-dix, sa conception théologique évolue et il parle différemment de ce changement.
En résumé, sur cet aspect biographique des « conversions » : en 1725, John Wesley décide de faire de la religion l’affaire de sa vie. Il poursuit la sanctification, lit des auteurs anglicans, et est inspiré par les Pères de l’Église (à travers William Law). En 1738, à travers les grilles d’interprétation que la tradition moravo-luthérienne lui offre, deux choses lui apparaissent inébranlablement claires : le but de sa vie reste le même : la sanctification ; le moyen pour y parvenir trouve un nouveau fondement : le salut par grâce par le moyen de la foi. Dorénavant, le terme théologique pour exprimer cette nouvelle découverte sera la « sanctification SCRIPTURAIRE ».
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2 Journal du 24 janvier 1738 : WJW 18, p. 211 (WJW: The Works of John Wesley, Bicentennial Edition; Abingdon Press, Nashville).
3 Léger, Augustin, La Jeunesse de Wesley : L’Angleterre religieuse et les origines du méthodisme au XVIIIe siècle. Librairie Hachette, Paris 1910;
Piette, Maximin P., La Réaction de John Wesley dans l’Évolution du Protestantisme. La Lecture au Foyer, Bruxelles 1927 (2e éd. revue et augmentée). Pour Piette, 1725 marque la « première et vraie conversion » (p. 577). Piette est intéressé à « retrouver les influences secrètes mais décisives qui ont préparé cette croisade de ferveur intérieure et de zèle apostolique » à partir de 1740 (p. 272). Il résume l’effort de Wesley : « La grande douleur de sa vie fut de ne pouvoir faire agréer son mouvement de ferveur par les chefs de l’Église anglicane relâchée. Son mérite singulier fut l’organisation de ses convertis à la ferveur de la vie chrétienne » (p. 648). Le livre de Piette a été publié en traduction anglaise en 1937.

1.3 Se raffermir dans la tradition anglicane

À nouveau invité devant l’université deux semaines après son expérience d’Aldersgate, il prêche sur« Le salut par la foi » (sermon 1 du 11 juin 1738). Deux jours plus tard, il part pour un voyage en Allemagne, rencontre le comte Zinzendorf et visite autant les Frères moraves que les piétistes de Halle et leurs œuvres sociales. De retour en Angleterre, une grande question le poursuit : cette découverte du salut par la grâce est-elle en accord avec sa tradition anglicane ? (4) Car il se voit toujours profondément comme un anglican convaincu.
Le fait que John Wesley – et Charles d’ailleurs aussi – ne peuvent imaginer quitter la tradition anglicane n’est souvent pas perçu. De retour en Angleterre et avant de poursuivre son ministère, il doit résoudre la question primordiale : « Peut-il trouver confirmation du salut par la foi dans la tradition anglicane ? ». Il cherche la réponse dans les Homélies officielles de son Église. Une particularité de l’anglicanisme consiste dans le fait que les Homélies officielles du XVIe siècle font autant partie des documents fondamentaux en matière de doctrine que les Article de Foi (39 Articles of Faith) et la Liturgie (Book of Common Prayer).
Le 12 novembre 1738, John écrit dans son journal : « La semaine suivante, je commençais à rechercher de plus près ce qu’est la doctrine de l’Église d’Angleterre par rapport au point fort disputé de la justification par la FOI. Et du contenu que j’ai trouvé dans les Homélies, je faisais un extrait et le publiait pour usage par d’autres. »(5) Dans son sermon sur le salut par la foi de juin 1738, John Wesley ne fait pas encore allusion aux documents fondamentaux de l’Église d’Angleterre, à l’exception d’une toute petite parenthèse d’un langage assez général.(6) Mais maintenant, à travers ses études approfondies dans les Homélies, il sort rassuré et profondément convaincu qu’il a mieux compris l’essence de sa propre tradition anglicane que ses adversaires. Ceux-là disent que le salut par la foi est une doctrine dangereuse pour les bonnes œuvres et source d’un puritanisme égaré qui a conduit à une guerre civile au siècle précédant.
En résumé : Grâce à l’étude des Homélies, Wesley sort rassuré non seulement concernant la doctrine de la justification par grâce par le moyen de la foi, mais aussi concernant la relation entre la foi et les œuvres.(7) Bien sûr, ces deux éléments sont très importants. Mais il s’y ajoute un troisième lié à l’assurance du salut dont il trouve également des extraits dans les Homélies.(8) Pour la plupart des Anglicans, l’expérience personnelle du salut liée à une nouvelle dimension de certitude de la foi est l’élément nouveau et dangereux apporté par les Moraves. John Wesley évoquera plus tard, dans ses sermons, le témoignage direct de l’Esprit de Dieu à notre esprit humain. Ceci devint la manière d’exprimer dans la pneumatologie ce qu’est la justification par la grâce dans la sotériologie. Tout au long du réveil méthodiste qui débute peu après au début de 1739, Wesley continuera à proclamer haut et fort, oralement et par écrit, son attachement à la tradition anglicane, et d’assurer qu’il est plus fidèle à la doctrine anglicane que ses opposants.(9)
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4 Cf. Patrick Streiff, John Wesley und die Homilien der Kirche von England; dans: Theologie für die Praxis, 28. Jahrgang, Reutlingen 2002, pp. 12-21.
5 Journal, 12 novembre 1738; WJW 19, p. 21. Cf. The Doctrine of Salvation, Faith, and Good Works, Extracted from the Homilies of the Church of England, Oxford 1738. Ce traité est bien accessible en anglais dans: A. Outler (Éd.), John Wesley : A Library of Protestant Thought, Oxford 1964, pp. 121-133. Toutes les citations tirées des Homélies concernant le salut par la foi n’apparaissent qu’après cette semaine de recherche et d’études en novembre 1738.
6 Sermon 1, Salvation by Faith, III.8; WJW 1, p. 129.
7 Cf. un sermon tardif de 1787 où Wesley retrace l’histoire des gens appelés Méthodistes et souligne, après l’importance primordiale des Écritures saintes, l’influence des Homélies : « The book which, next to the Holy Scriptures, was of the greatest use to them in settling their judgment as to the grand point of justification by faith was the BOOK OF HOMILIES. They were never clearly convinced that we are justified by faith alone till they carefully consulted these, and compared them with the Sacred Writings, particularly St. Paul’s Epistle to the Romans. And no minister of the Church can with any decency oppose these, seeing at his ordination he subscribed to them in subscribing the Thirty-sixth Article of the Church.” (Sermon 107, On God’s Vineyard, I.4; WJW 3, p. 505).
8 Cf. paragraphe 14, p. 128 (The Doctrine of Salvation…, dans: A. Outler, John Wesley: A Library of Protestant Thought): “The right and true Christian faith is not only to believe that Holy Scripture and the articles of our faith are true, but also to have a sure trust and confidence to be saved from everlasting damnation by Christ, whereof doth follow a loving heart to obey his commandments”. Cette découverte amène Wesley à parler plus clairement de la foi comme une confiance sûre en Dieu, dans des publications ultérieures du sermon 1 (Sermon 1, Le salut par la grâce, I.5 ; cf. WJW 1, p. 121).
9 L’exemple le plus radical se trouve dans le brouillon d’un sermon de 1741 devant l’Université que Wesley n’a finalement jamais prêché, cf. sermon 150, L’hypocrisie à Oxford, II.12 (WJW 4, pp. 405-406 version anglaise et pp.418-419 version latine).

1.4 Le rôle des méthodistes au sein de l’Église anglicane au début du réveil

Peu après avoir trouvé l’assurance d’être parfaitement dans la tradition doctrinale anglicane et dans des temps avant-coureur du réveil, les entrevues avec les évêques de son Église se multiplient. En février 1739, il se rend avec Whitefield chez l’évêque de Gloucester pour demander une souscription en faveur du ministère de Whitefield en Géorgie. Le même mois, John et Charles Wesley sont en visite chez l’archevêque de Cantorbéry, Potter, qui s’adresse à eux avec beaucoup de sympathie, mais les exhorte à ne pas provoquer de réactions négatives ou d’introduire des choses nouvelles.(10) Peu après, les deux frères Wesley vont voir l’évêque Gibson de Londres qui nie les avoir condamnés.(11) Cet évêque est convaincu que le journal de Whitefield penche vers ce qu’on appelle à l’époque « enthousiasme » et qui désigne une exagération exaltée, un fanatisme nuisant à une vie selon la morale chrétienne. L’évêque de Londres exhorte les frères Wesley à ne pas favoriser « l’antinomisme », une vie chrétienne dans laquelle la loi n’a désormais plus d’exigences pour le croyant. Il exprime ainsi auprès des frères Wesley une même préoccupation.
Chose intéressante et souvent peu connue : la période des entrevues fréquentes entre les frères Wesley et des évêques anglicans se fait après la découverte de la justification par la foi. Cela témoigne de la peur qu’un puritanisme exagéré puisse renaître, nuire à la bonne morale et mettre en danger la stabilité sociale durement acquise après les combats du siècle précédent. Mais une telle fréquence d’entrevues avec les évêques n’a pas eu lieu concernant les nouvelles pratiques qui se sont heurtées aux canons disciplinaires de l’Église.(12)
À partir de 1744, John Wesley réunit quelques prêtres anglicans et prédicateurs laïques pour discuter sur des questions de doctrine, de discipline et d’administration. Ces rencontres continueront à un rythme annuel et deviendront les « conférences annuelles ». Déjà lors de la toute première réunion, l’éventualité d’un schisme dans l’Église est évoquée, au plus tard à la mort de Wesley. Wesley et ses collaborateurs veulent rester des prêtres attachés à leur Église. Ils ne voient que deux options : être expulsés ou être un levain dans l’Église. Malgré le risque d’être expulsés, ils se sentent obligés de propager l’Évangile et « gagner des âmes ».(13) Choisir la voie de la dissidence n’est clairement pas une option.
Dans le condensé des actes de conférences (Large Minutes) des premières années, ils parlent du dessein de Dieu par rapport au mouvement méthodiste : « Q[estion]. Que pouvons-nous raisonnablement croire être dans le plan de Dieu en établissant des prédicateurs appelés « Méthodistes » ? R[éponse]. Réformer la nation, et en particulier l’Église, [et] répandre la sanctification scripturaire à travers le pays. »(14)
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10 John Potter, pendant sa période d‘évêque d’Oxford, a ordonné John (diacre en 1725, prêtre en 1728) et Charles (diacre en 1735) ; il était en contact autant avec le club saint qu’avec le comte Zinzendorf. Il était archevêque de Cantorbéry pendant dix ans dès 1737, donc au début du réveil méthodiste.
11 Edmund Gibson était évêque de Londres de 1723 à 1748, donc également pendant les années où le méthodisme a pris naissance. Il a ordonné Charles comme prêtre en 1736. Potter et Gibson étaient les deux évêques les plus influents à cette période. Gibson était le grand spécialiste du droit ecclésial.
12 Frank Baker, ibid., chapitre 4 “Methodism and the Bishops” pp. 58-73. Baker fait référence à quelques autres visites pendant les premières années du réveil. Comme il le mentionne, le journal de Wesley ne fut publié que quelques années après les faits de sorte que le grand public ne put le lire que lorsque la tension extrême des débuts se fut un peu apaisée.
13 “Q. 12. Do not you entail a schism on the Church? i.e., Is it not probable that your hearers after your death will be scattered into all sects and parties? Or that they will form themselves into a distinct sect?
A. (1) We are persuaded, the body of our hearers will even after our death remain in the Church, unless they be thrust out.
(2) We believe notwithstanding either that they will be thrust out, or that they will leaven the whole Church.
(3) We do, and will do, all we can to prevent those consequences which are supposed likely to happen after our death.
(4) But we cannot with a good conscience neglect the present opportunity of saving souls while we live, for fear of consequences which may possibly or probably happen after we are dead.” (Minutes of Conference, 27.6.1744, WJW 10, p. 135)
14 Large Minutes, Q. 4 (WJW 10, p. 845).

1.5 Brèves comparaisons entre les différentes branches du réveil méthodiste au XVIIIe siècle et leur attitude face à l’Église anglicane

Antérieur au réveil méthodiste, il y eut un réveil au pays de Galles dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Ce réveil était déjà marqué par un rôle important des laïques et de la prédication en plein air, en dehors des églises ; deux caractéristiques qui se retrouvent également dans plusieurs branches du réveil méthodiste. En effet, le réveil méthodiste du XVIIIe siècle s’est subdivisé en plusieurs courants ou branches. A courte ou longue échéance, les différentes branches prenaient des options diverses dans leur relation à l’Église d’Angleterre. Ces différentes options se sont manifestées au plus tard quand la première génération des leaders méthodistes était à un âge avancé, principalement autour des années 1780.
Les Frères moraves cherchaient une reconnaissance officielle pour œuvrer au sein de l’Église. Ils reçurent un statut indépendant de l’Église anglicane, mais officiellement reconnu en 1749.(15) Bien avant ce statut officiel, les méthodistes wesleyens se sont séparés des Frères moraves en 1740 après quelques mois de luttes entre les tendances moravo-quiétiste et anglican-activiste. John Wesley était le leader de la partie anglicane, d’abord minoritaire au sein de la Société de Fetter Lane, et il poursuivait son chemin entièrement au sein de l’Église anglicane. Dans les années 1780, Charles Wesley a repris contact avec les Frères moraves en vue d’une union, car il craignait qu’à la mort de son frère John, la connexion méthodiste wesleyenne se sépare de l’Église anglicane.(16)
À côté des méthodistes du groupe d’Oxford, il y avait d’autres membres du clergé anglican qui découvrait la force transformatrice d’être justifié par la foi. Pourtant au début du réveil, il n’y avait que peu de prêtres anglicans qui partageaient les convictions d’un Whitefield ou des frères Wesley dont les prédications attiraient des grandes foules. Les frères Wesley n’arrivaient pas à suivre et prêcher partout où ils étaient invités. Ils parcouraient le pays à cheval, mais parfois n’arrivaient pas à temps pour guider les réunions dans les sociétés religieuses qu’ils avaient formées. Des laïques commençèrent alors à combler le vide. John Wesley voulut d’abord punir le premier d’entre eux, mais sa propre mère lui dit que la prédication du laïque avait produit autant de fruit que la sienne. Wesley se laissa convaincre, puis il parla d’un appel extraordinaire des laïques pour prêcher l’Évangile, car il manquait de prêtres officiels pour le faire.
Ce conflit au sujet du rôle des prédicateurs laïques apparut entre Wesley et ses collègues prêtres anglicans qui n’appréciaient pas du tout cette ingérence de prédicateurs méthodistes dans leur territoire de paroisse. Le conflit se prolongea. Il bloqua également les différents essais fait pour réunir l’ensemble de la mouvance dans une sorte d’union nationale lorsque, dans les années 1760, un nombre plus large de prêtres anglicans se rallièrent à la doctrine de la justification par la foi. C’est au cours des années soixante que les discussions en vue d’une sorte d’union nationale furent les plus intenses. Elles n’aboutirent jamais, car les « prêtres de l’Évangile » (Gospel ministers) ne voulaient pas non plus que des prédicateurs méthodistes laïques fassent des réunions dans leurs paroisses. Ils auraient accepté une telle ingérence dans d’autres paroisses, mais pas chez eux. Ce conflit de l’ordre ecclésial, plus particulièrement sur la responsabilité territoriale du prêtre installé officiellement, ne put jamais être réglé à l’amiable.
Mais il y avait encore une autre ligne de conflit autour du ministère des prédicateurs laïques, cette fois au sein même du méthodisme wesleyen. Après une dizaine d’années, les prédicateurs devenaient de plus en plus nombreux, ils étaient souvent mieux formés qu’au début et davantage conscients des bienfaits de leur travail pour la société en général. En plus, le nombre d’adeptes venant sans aucune tradition anglicane ou d’une tradition dissidente était en augmentation. Dans des paroisses où le prêtre anglican condamnait les méthodistes ou menait lui-même une vie sujette à des critiques, les méthodistes avaient de plus en plus de peine à assister au culte de l’Église et à communier. Parfois alors, des prédicateurs laïques se prenaient le droit d’administrer les sacrements eux-mêmes pour les fidèles méthodistes. John Wesley – et plus encore Charles – y était farouchement opposé. Plusieurs fois pendant les années cinquante, cette question fut débattue lors des conférences annuelles qui regroupaient John Wesley et ses prédicateurs laïques. À la conférence annuelle de 1755, la discussion sur cette question des droits sacramentels et d’une éventuelle séparation de l’Église anglicane dura pendant trois longs jours. Ce fut un signe de la virulence de cette question et de la peine des frères Wesley à garder le mouvement à l’intérieur de l’Église anglicane.
Théologiquement, les frères Wesley faisaient une nette différence entre la prédication de la parole qui devait être annoncée de toute manière et pouvait l’être, en situation extraordinaire également par des laïques, à cause du manque de clergé fidèle, et l’administration des sacrements qui restait accessible à tous les fidèles dans l’Église officielle, selon sa bonne et vraie liturgie. La même discussion revint encore une fois en 1760 avec une réponse identique, puis vers la fin de la vie des frères Wesley. Mais même après leur mort, une ligne de conduite identique prévalut encore durant des décennies dans la branche principale du méthodisme wesleyen.
La question de l’administration des sacrements fut aggravée par le fait qu’il fut presque impossible de trouver un évêque prêt à consacrer un prédicateur méthodiste comme diacre et prêtre. De telles ordinations furent longtemps une option plus fréquente parmi le méthodisme calviniste sous la conduite de Whitefield (+1770). Cette branche profitait de la protection de la comtesse de Huntingdon qui avait la possibilité de demander l’ordination d’une personne comme aumônier personnel. En raison de l’âge avancé de la comtesse et de l’impossibilité grandissante de trouver des évêques prêts à de telles ordinations, elle – et avec elle l’aile calviniste du méthodisme - décida finalement de se séparer de l’Église d’Angleterre dans les années quatre-vingts. Cette séparation augmenta également la tension à l’intérieur de l’aile wesleyenne pour opter en faveur d’une séparation.
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15 Ingham qui voulait combiner un attachement aux moraves et son rôle de prêtre anglican prit le chemin de la dissidence – ensemble avec ses sociétés - déjà dans les années cinquante.
16 Cf. F. Baker, Ibid, p. 304-306. Il s’agissait d’un contact de Charles Wesley avec Benjamin La Trobe en 1785-86. Celui-ci mourut en novembre 1786 et ce fut la fin de tout contact.

2 L’évolution du rapport entre la connexion méthodiste wesleyenne et l’Église anglicane

Vers la fin de la vie des frères Wesley, la question de l’avenir de la connexion méthodiste wesleyen, représentée par la réunion de Wesley avec ses prédicateurs au sein d’une conférence annuelle, se pose d’une manière plus urgente et provoque des tensions à l’intérieur du mouvement. Cette question légale et identitaire en vue d’une période après Wesley se superposait à la question ouverte du statut au sein de l’Église anglicane.

2.1 L’idée d’une structuration ecclésiale du méthodisme en tant que réforme de l’Église anglicane en 1775

Dans les années soixante-dix, suite à une grave maladie de Wesley qui faillit l’emporter et à une initiative parlementaire pour abroger la signature aux Articles de foi et au Livre de prière, l’idée de sauvegarder le mouvement méthodiste à travers une officialisation de sa structure ecclésiale surgit à nouveau. Un des prédicateurs, Joseph Benson, pousse à une évaluation critique de chaque prédicateur et à envisager l’ordination des meilleurs. Son ami, Jean Guillaume de la Fléchère (John William Fletcher), prêtre anglican et seul personnage à qui Wesley aie demandé de reprendre les rênes du mouvement, soutient partiellement l’idée, puis écrit lui-même un plan dans une longue lettre à John Wesley. Il tient à garder les méthodistes à l’intérieur de l’Église anglicane. Il rêve d’établir « une église-fille de notre sainte mère », une « Église d’Angleterre méthodiste qui défend l’église pas encore influencée du méthodisme contre les attaques injustes des Dissidents, se soumettant volontairement à elle en toutes choses pour autant qu’elles ne soient pas contre les Écritures, approuvant son ordination, participant à ses sacrements et assistant à son culte en toute occasion possible. »(17) La lettre arrive trop tard pour la conférence annuelle et nulle discussion ultérieure au sujet de ce projet n’est connue, mais plusieurs idées se retrouvent dans la solution que Wesley applique pour les méthodistes américains suite à l’indépendance du pays.
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17 Lettre de Fletcher à John Wesley, 1er août 1775 (Unexampled Labours : Letters of the Revd. John Fletcher to leaders in the Evangelical Revival. Ed. Peter S. Forsaith. Epworth Press, Peterborough 2008, p. 324-330). Cf. également Patrick Streiff, Jean Guillaume de la Fléchère / John William Fletcher 1729-1785, Peter Lang, Bern 1984, pp. 376-380, pour le contexte et l’interprétation de la lettre. La conférence annuelle de 1775 fait une évaluation plus rigoureuse des prédicateurs, cf. WJW 22, p. 459f. Sur les idées initiales de Benson, cf. John Wesley’s Journal, éd. Curnock, vol. VIII, p. 328-331.

2.2 La nouvelle situation aux États-Unis après l’indépendance de l’Angleterre

En 1784, John Wesley consacre deux de ses prédicateurs comme diacre, puis comme ancien pour le ministère aux États-Unis.(18) En même temps, il installe ou consacre le prêtre anglican Thomas Coke comme surintendant général pour l’œuvre en Amérique. Coke devait se rendre aux États-Unis pour procéder aux premières ordinations de prédicateurs méthodistes ; en effet, après l’indépendance du pays, il y avait un vide autant juridique que personnel au niveau de l’Église anglicane. Le projet était de créer une Église méthodiste aux États-Unis sur la base d’un raccourci des 39 Articles de foi, du Livre de prière aussi réduit(19), et une collection des quatre premiers volumes de sermons de Wesley qui ainsi remplaçait les Homélies de l’Église anglicane(20). Sur cette base anglicano-wesleyen, les prédicateurs en Amérique s’organisaient en Église indépendante. Peu après, l’Église anglicane s’est constituée en Église épiscopalienne aux États-Unis. Dans leur nom officiel, les méthodistes y ont ajouté l’adjectif « méthodiste » et se sont appelés alors « Église épiscopalienne méthodiste ». Le lien dans le nom choisi est tombé en oubli plus tard.
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18 Depuis ses études des pères de l’Église à Oxford, John Wesley était convaincu qu’il n’y a pas de différence de statut entre un ancien et un évêque, mais honorer le rôle et la fonction spécifique d’un évêque dans l’Église anglicane, fait partie du bon ordre. La notion de la succession apostolique des évêques ne s’établit fermement qu’au XIXe siècle.
19 Cf. la remarque de Baker sur ce raccourci: “Its overall purpose was to secure the half loaf of partial loyalty to the Church of England rather than be forced to put up with the no bread of complete independence.” (F. Baker, John Wesley and the Church of England, p. 243); cf. également la lettre de John Wesley à Walter Churchey de 1789, cité chez Baker, p. 243 : “I took particular care throughout to alter nothing merely for altering’s sake. In religion I am for as few innovations as possible. I love the old wine best.” (ebd., p. 243)
20 Cf. sur l’importance des sermons pour la théologie de Wesley : Patrick Streiff, John Wesley : Le prédicateur et sa pensée théologique d’après ses sermons, Excelsis 2016. Le rôle de la collection des sermons de Wesley était préfiguré par le « Model Deed » de 1763. Ce document légal pour tous les lieux de réunions méthodistes stipulait que toute personne autorisée par Wesley puisse prêcher pour autant qu’elle se tienne aux doctrines exprimées dans les quatre volumes de sermon et dans les annotations sur le Nouveau Testament.

2.3. Une lente évolution de la « connexion méthodiste » vers une Église méthodiste en Angleterre

La même année, en 1784, John Wesley donne une base légale à la connexion méthodiste en Angleterre pour garantir sa pérennité au-delà de sa mort. Il établit un acte (Deed of Declaration) où cent de ses prédicateurs formeront officiellement la conférence annuelle.(21)
Les ordinations faites par Wesley pour les États-Unis(22) ont créé le conflit le plus grave et le plus long entre John et son frère Charles. Pour celui-ci le Rubicon était franchi et le méthodisme des origines abandonné. Der rumeurs circulaient dans le pays disant que Wesley se sépare de l’Église anglicane ! John Wesley y répond en publiant des sermons.(23) Évidemment, le conflit ne s’est pas apaisé lorsqu’il ordonne quelques-uns de ses prédicateurs pour d’autres champs de ministère en dehors du territoire de l’Église anglicane. Dans l’interprétation de ses actes durant la dernière décennie de sa vie, John Wesley a été comparé à un rameur : il regarde dans une direction, rester fidèlement au sein de l’Église anglicane, mais avec chaque mouvement de la rame, le bateau avance dans la direction opposée.(24) L’image est parlante, mais à mon avis exagérée car elle suggère un rôle très actif qui mènerait à une séparation. Il me semble que l’image plus fine utilisée par Wesley lui-même est plus proche et judicieuse pour caractériser son action. Lors de la conférence annuelle de 1788, après la mort de son frère Charles, Thomas Coke proposa que tout le corps méthodiste se sépare formellement de l’Église anglicane. John Wesley y répondit : « Il [Rev. Dr. Coke] déchirerait tout du haut en bas. Je ne déchirerai pas, mais je découdrai. »(25)
Même après la mort de John Wesley en 1791, la conférence annuelle des méthodistes wesleyens en Angleterre refuse toute action visant une séparation. Elle exclut des pasteurs qui veulent aller dans cette direction et administrer les sacrements. Mais très lentement, dans un développement sur plusieurs décennies et par petits pas, la distance entre la connexion méthodiste wesleyenne et l’Église anglicane s’accentue, et ceci des deux côtés. Les Méthodistes deviennent plus revivalistes, les Anglicans, sous l’influence du mouvement d’Oxford (Tractarianisme), plus ancrés dans une nouvelle accentuation de la « haute tradition ».(26) Si on veut garder l’image du bateau à rame, il faudrait dire que des deux côtés, chaque mouvement de la rame mène à plus de distance entre la connexion méthodiste et l’Église-mère.(27) Dans la deuxième partie du XIXe siècle, beaucoup d’autres églises indépendantes en Angleterre se retrouvent sous le sigle d’Églises libres (Free Churches). Les méthodistes restent encore longtemps réticents, car ils ont toujours refusé de se positionner dans le champ des dissidents.
Au XXe siècle et à la naissance de l’œcuménisme, on trouve des méthodistes, anglais ou américains en premières lignes parmi ceux (les leaders étaient encore tous des hommes) qui s’engagent pour l’unité, y compris en faveur d’une union entre l’Église méthodiste britannique et l’Église anglicane.
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21 Cf. pour les détails F. Baker, Ibid, chapitre 13 « 1784 – I : The Deed of Declaration. Il est intéressant de voir que John Wesley opte finalement pour un nombre assez grand : cent prédicateurs qu’il sélectionne lui-même. Je pense que ce choix traduit d’un côté sa volonté de ne pas créer un petit cercle de leader qui peut décider tout (Lady Huntingdon avait choisi ce modèle lors de sa séparation de l’Église anglicane), mais de l’autre côté une conviction qu’une partie de ses prédicateurs ne seraient pas aptes ou assez mûrs pour porter une telle responsabilité.
22 Depuis sa lecture de Richard Hooker, Ecclesiastical Polity, Wesley était convaincu que les anciens / prêtres autant que les évêques étaient successeurs des apôtres, mais qu’ordinairement les évêques avaient la prérogative des ordinations. Déjà Hooker distingue entre la vocation ordinaire et la vocation extraordinaire ; cela a fortement influencé la pensée de Wesley autant pour la prédication des laïcs comme celle des femmes ainsi que son action d’ordination pour des territoires au-delà de l’Église anglicane (Cf. R. Hooker, Ecclesiasticl Polity, vol. III, 231-232 ; Oxford 1881.)
23 « Trouvant que les rumeurs ont largement circulés que je suis en train de quitter l’Église, et pour satisfaire ceux qui en étaient affligés, j’ai ouvertement déclaré le soir même que, aujourd’hui, pas plus qu’il y a quarante ans, je n’ai l’intention de me séparer de l’Église. » (Journal, 4 septembre 1785 ; WJW 23, p.376). Cf. les sermons 74, sur l’Église (28.9.1785), et 75, sur le schism (30.3.1786) qui font partie de dix( !) sermons sur l’Église entre 1783 et 1789.
24 H.D. Rack, Reasonable Enthusiast : John Wesley and the Rise of Methodism, p. 291, London 1989 (comme citation d’un méthodiste du XIXe siècle).
25 Citation chez F. Baker, Ibid, p. 311.
26 Cette tendance se développe dans les années 1833-45, cf. l’œuvre de John Henry Newman.
27 Dès 1836, les prédicateurs méthodistes ne furent pas seulement acceptés comme membres de plein droit dans la conférence annuelle, mais aussi consacrés à leur service par imposition des mains.

3) Le méthodisme – une réforme de l’anglicanisme ?

Les organisateurs de ce colloque m’ont posé cette question intéressante : Le méthodisme – une réforme de l’anglicanisme ? Comme ce petit survol historique et théologique l’a déjà montré, il y a plusieurs éléments, parfois contradictoires, à considérer dans toute réponse. En général, la littérature secondaire analyse la relation entre le méthodisme et l’Église anglicane sous l’angle d’une possible séparation plus que sous celui d’une réforme. Mais le premier élément est significatif pour évaluer la volonté et le pouvoir à réaliser le second.(28)
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28 Après la conférence de 1788, Wesley écrit dans son journal : « Un des points les plus importants examiné lors de cette conférence fût celui de quitter l’Église. Après une longue discussion, il fut clarifié que : (1) Au cours de cinquante ans, notre position n’a pas varié par rapport à l’église ni de manière préméditée, ni volontaire, pour aucun article de doctrine ou de discipline ; (2) Nous n’étions pas encore conscients d’y avoir varié dans un point de doctrine ; (3) Nous avons, au cours des années, par nécessité et non par choix, lentement et prudemment modifié quelques points de discipline concernant la prédication en plein air, la prière libre, le service de prédicateurs laïques, la formation et supervision de sociétés, et la tenue de conférences annuelles. Mais nous n’avons fait ces choses que quand nous étions convaincus de ne plus pouvoir continuer, au risque de perdre nos âmes. » (Journal, 4 août 1788 ; éd. N. Curnock, London 1916, VII, p. 422).

3.1 Au niveau théologique et doctrinal

Au niveau théologique et doctrinal, le méthodisme ne s’est pas vu lui-même comme une réforme de l’anglicanisme. Les frères Wesley ont insisté et promu, de manière régulière et pendant toute leur vie, que l’Église anglicane est la meilleure de toutes les Églises et incarne leur idéal, beaucoup mieux que toute autre Église de type protestante – et bien sûr mieux que l’Église catholique. Ils ont également insisté et mis en avant que leur propre position doctrinale est mieux en phase avec toute la tradition anglicane que celle de leurs opposants anglicans. La position médiane de l’Église anglicane a été défendue par les frères Wesley, contre toute critique. Ils n’ont pas vu la nécessité ou pris des initiatives pour changer le fondement doctrinal de l’Église anglicane.(29) Si l’Église avait besoin de réforme, c’était pour revenir à ses propres origines et non en opposition ou en apportant des éléments nouveaux.
Cette généralité acquise, il y a tout de même des subtilités à relever. Ces accentuations méthodistes ne sont ni des nouveautés, ni des révisions étrangères à la tradition anglicane. Elles constituent davantage des priorités mises à l’intérieur d’un héritage anglican. J’aimerais y relever les éléments suivants :
a) L’expérience religieuse : La rencontre avec les Frères moraves et la recherche d’une certitude de foi ont amené les frères Wesley a valorisé l’expérience religieuse. En cela, ils étaient aussi parfaitement en ligne avec l’influence des Lumières. Plusieurs des grands traités de Wesley font appel aux « gens de raison et de religion » dans leurs titres. Mais en comparaison avec les trois critères d’autorité établis dans la voie médiane de l’Église anglicane (Écritures saintes, tradition et raison),(30) les frères Wesley donnent une plus large importance à l’expérience. Plus tard, dans les fondements doctrinaux de l’Église évangélique méthodiste (Église méthodiste unie) cela amène à un concept de quatre critères (Écritures saintes, tradition, raison et expérience, avec priorité sur l’Écriture), le « quadrilatéral ».(31)
b) L’accentuation arminienne : Les frères Wesley ont toujours partagé avec l’aile de la haute Église de leur époque une accentuation arminienne. Ils étaient convaincus que Dieu veut le salut de tous les hommes, qu’il est présent par la grâce prévenante dans toute sa Création, et qu’il a rétabli en l’homme la capacité de répondre positivement à la grâce divine. Les frères Wesley ont farouchement rejeté la notion de la double prédestination et se sont disputés avec l’aile calviniste du réveil sur ce point. Mais, influencés par la tradition calvinienne du continent, il leur a fallu faire pas mal de gymnastique au niveau des 39 Articles de foi de l’Église anglicane pour montrer qu’ils restaient sur la base doctrinale de leur Église (de même que pour toute l’aile de la tradition haute de l’Église à leur époque). Pas surprenant d’ailleurs que John Wesley, dans son raccourci des 39 Articles de foi pour l’établissement d’une Église méthodiste aux États-Unis a simplement éliminé l’article sur la prédestination.
c) La fonction égalitaire du péché : trois doctrines fondamentales ont réuni les différentes branches du réveil méthodistes : le péché originel ou universel, la justification par la foi, et la sanctification du cœur et de la vie.(32) La conviction que tout homme est pécheur et dépend de la grâce de Dieu de manière identique et radicale, était un affront pour la noblesse et les gens de bonne morale. La société anglaise du XVIIIe siècle valorisait hautement la bonne morale et c’était choquant d’entendre une prédication méthodiste qui metttait tous les être humains à un même niveau : entièrement pécheurs et dépendants de la grâce de Dieu, même si cette compréhension paulinienne était bien ancrée dans les doctrines officielles de l’Église.
d) La perfection chrétienne comme but ultime : Influencés par l’étude des Pères de l’Église, les frères Wesley voient comme but ultime de toute vie chrétienne la perfection chrétienne, c’est-à-dire l’amour parfait. Sainteté et bonheur (holiness and happiness) vont de pair. La sanctification a une dimension autant personnelle (la transformation de la personne) que sociale (la réforme de la nation). Wesley voit ce but ultime de la perfection chrétienne comme un grand trésor que Dieu a confié aux méthodistes.(33) Ainsi il met l’accent et développe un élément important dans la tradition anglicane, au-delà d’autres éléments.
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29 Ils n’étaient pas entièrement sans critique pour autant. Ils partageaient – avec beaucoup d’autres anglicans – des réserves face au credo d’Athanase et à certaine formulation dans le Livre de prière. Dans le raccourci que John prépare pour les méthodistes américains en 1784, il a enlevé de tels passages.
30 Cf. l’œuvre du théologien Richard Hooker (1554-1600) qui a clarifié cette vie médiane entre le catholicisme et la Réforme du continent européen.
31 Cf. Les fondements doctrinaux dans le Règlement de l‘Église évangélique méthodiste / Église méthodiste unie.
32 Tous les essais des années 1760 pour unir le clergé „de l‘Évangile » et les différentes branches du réveil se basaient sur ces trois convictions doctrinales.
33 « … par rapport à la sanctification entière. Cette doctrine est le grand depositum que Dieu a confié aux gens appelés méthodistes ; et il les a fait naître principalement pour la promouvoir. » (Lettre de John Wesley à Robert C. Brackenbury Esq., 15 septembre 1790, Works of the Rev. John Wesley, vol. XIII, p. 9; London 1831).

3.2 Au niveau disciplinaire et organisationnel

Plus que nulle part ailleurs, le méthodisme est entré en conflit avec la tradition anglicane au niveau disciplinaire et organisationnel. Mais même ici, il a pris certaines libertés et les a déployées au maximum plutôt que d’attaquer de front les Canons de l’Église ou l’autorité hiérarchique. On ne trouve pas de disputes que tel ou tel Canon ou règle soit contraire à l’Écriture, mais on perçoit plutôt l’argument que les Écritures autant que le bon sens autorisent telle autre pratique dans l’Église. Comme nous venons de voir, la tendance à vouloir se séparer de l’Église d’Angleterre ne fut jamais absente dans le mouvement méthodiste wesleyen, mais il faut prendre en compte le fait qu’elle n’est pas devenue majoritaire.(34)
Regardons de plus près quelques éléments de cette tension latente entre l’Église établie et la pratique des méthodistes au sein de cette Église :
a) Le Livre de prière et les actes liturgiques spontanés : les frères Wesley ont considérer la liturgie officielle, le Livre de prière, avec une haute estime et ils l’ont utilisé avec beaucoup de régularité. De même, ils ont toujours insisté pour que les méthodistes soient présents au culte de l’Église et participent fréquemment à la sainte Cène.(35) Mais très tôt, ils y ont ajouté des expressions spontanées de prières dans la cure d’âme et dans des réunions dans les sociétés religieuses. Et autant leurs sermons sont truffés de citations bibliques, autant, je suppose, leurs prières spontanées sont remplies d’allusions au contenu du Livre de prière. Mais à la longue, au réveil du XIXe siècle, la tradition liturgique officielle s’est estompée et la spontanéité a pris le dessus.(36)
b) Le rôle des laïques : contre leur gré, les frères Wesley découvrent et reconnaissent les dons que Dieu a donnés aux laïques, d’abord pour les hommes prédicateurs, plus tard ouvertement aussi pour des femmes et leur rôle publique. John plus que Charles valorise ce qu’il voit comme fruit d’un ministère même si ce ministère ne suit pas la voie ordinaire des règles de l’Église. Cette grande ouverture envers ce que Dieu donne à l’ensemble du corps du Christ provoque de multiples conflits avec ses pairs. Bien que John Wesley – beaucoup plus que son frère Charles – estime la qualité des prédicateurs laïques, il ne cède que très rarement à la tentation de noircir le clergé anglican,(37) ce qui est différent de l’image donnée au XIXe siècle en regardant en arrière sur le XVIIIe. John Wesley a une seule restriction, et même interdiction pour le territoire officiel de l’Église anglicane : c’est envers des laïques qui veulent prendre l’autorité d’administrer les sacrements.
c) L’itinérance des prédicateurs et la connexion méthodiste : Au début du réveil, les frères Wesley, ainsi que quelques autres prêtres anglicans du premier groupe des méthodistes d’Oxford, parcourent le pays pour annoncer la Bonne Nouvelle. Lorsque des laïques commencent à prêcher et que leur ministère est reconnu, ils aident tout naturellement dans ces tournées itinérantes de prédications. Cette itinérance crée une forte connexion au sein des prédicateurs et parmi les sociétés religieuses des méthodistes, mais elle continuera d’être un affront pour les prêtres anglicans et la structuration territoriale des paroisses. Les méthodistes, par contre, mettront une structure connexionelle en place, avec une conférence annuelle qui regroupe les prédicateurs. Cette structure connexionelle marquera le méthodisme lorsqu’il évoluera en une Église indépendante.
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34 Frank Baker accentue beaucoup plus cette tendance séparatiste chez Wesley : “The separatist tendencies of Methodism had long been obvious to all but the most blind or the most prejudiced. Among the latter we must rank John Wesley, who did indeed recongnize the tendencies, but was convinced that God would find a way out of the impasse.” (F. Baker, John Wesley and the Church of England, p. 218).
35 Cf. les sermons 104, « Sur la présence au culte de l‘Église » (7.10.1787), et 101, « Sur le devoir de la communion régulière » (1787).
36 Le raccourci du Livre de prière pour les méthodistes américains est un exemple parlant : D’un côté, le Livre de prière reste la base liturgique officielle, de l’autre côté Wesley corrige et condense le contenu en faisant un raccourci. En plus, les prédicateurs méthodistes américains parcouraient de grandes régions et les communautés locales recevaient leurs visites, y compris la possibilité de célébrer la communion, seulement à intervalle, de sorte que la tradition liturgique s’affaiblissait en comparaison à des éléments plus spontanés.
37 « Toutefois, il doit être admis que depuis la Réforme, et particulièrement dans le siècle présent, la conduite du clergé en général s’est nettement améliorée. […] Ainsi, il est généralement admis que le clergé anglais et irlandais n’est pas inférieur à d’autres d’Europe, soit pour la piété ou pour la connaissance. » Sermon 104, § 16 ; cf. également § 18, « Sur la présence au culte de l’Église » (7.10.1787). Il est intéressant de noter que la recherche de ces dernières années est revenue vers une évaluation plus positive de l’Église anglicane du XVIIIe siècle, cf. William Gibson, The Church of England, 1688-1832. Unity and Accord, New York, Routledge, 2001.

3-3 Au niveau social et missionnaire

Il faut également parler du méthodisme au niveau de son action sociale et missionnaire et l’ancrer dans le tissu social de son époque. J’aimerais mentionner particulièrement deux éléments :
• Du vivant de Wesley, les méthodistes se sont répandus plus vite dans les régions ouvrières qui avaient moins ou même pas du tout d’église anglicane pour le culte dominical. Tout au début de la venue des prédicateurs méthodistes dans un village, la résistance était forte, parfois violente. Mais assez rapidement, la population remarquait le changement bénéfique dans la vie des adeptes méthodistes.
• De par le rôle que Wesley avait dans le réveil, sa carrière a changé d’orientation : l’universitaire est devenu l’ami des pauvres. Dans la préface de la publication de ses sermons, il dit qu’il veut prêcher « plain truth for plain people » et le terme anglais signifie autant « simple » que « entier ». Sa relation avec la noblesse était toujours ambiguë. Il préférait bouger parmi les gens simples plus que dans les cercles de pouvoir. Et une conséquence a été – à mon avis - sa réserve pour entrer dans toute démarche active avec la hiérarchie en faveur d’un statut officiel et reconnu de la connexion méthodiste au sein de l’Église anglicane.(38)

Pour terminer : Wesley voyait comme but du mouvement méthodiste « de réformer la nation, et en particulier l’Église, [et] de répandre la sanctification scripturaire à travers le pays. »(39) Mais en réalité le premier et le dernier de ces trois éléments étaient plus importants pour lui que le deuxième, même s’il disait « en particulier l’Église ». Ce terme correspondait davantage à sa volonté de rester au sein de l’Église anglicane, d’y être un levain si Dieu le permettait, plutôt que faire des démarches officielles et institutionnelles en faveur de sa réforme. Le but des premiers méthodistes étaient la transformation de la personne à l’image du Christ et de la société selon le règne de Dieu.(40) Tant mieux si cette démarche contribuait à une réforme de l’Église. Ainsi, les frères Wesley se comprenaient entièrement comme fils obéissants et prêtres engagés de leur Église anglicane. Ils ont lutté pour garder le mouvement en son sein, mais n’ont pas voulu renoncer à leur mission de réformer la nation et répandre la sanctification scripturaire à travers le pays, au risque de ne pas réussir à réformer l’Église.
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38 C’est une différence de plus entre Wesley et son mouvement d’un côté et les autres branches du méthodisme de l’autre côté, aussi bien les méthodistes calvinistes avec Lady Huntingdon que les Frères moraves avec le comte de Zinzendorf.
39 Large Minutes, Q. 4 (WJW 10, p. 845).
40 Richard P. Heitzenrater souligne avec justesse à quel point le but de la sanctification chez Wesley fait toute la différence dans sa manière de concevoir l’évangélisation, cf. Heitzenrater, Wesley and the People Called Methodists, p. 242 ; Abingdon Press, Nashville 1995.