La doctrine de la grâce selon John Wesley -
Le méthodisme wesleyen (arminien) en comparaison avec le méthodisme calviniste
Introduction
Il est primordial pour la compréhension de la théologie d’une personne d’entrer dans sa propre logique de pensée. Pour Wesley, la conception de la grâce était au cœur de sa pensée. Si on cherche dans son œuvre ce qu’il dit sur l’élection, on part vite déçu - rien de comparable à Calvin. Si on regarde ce qu’il dit sur la prédestination, et plus pointu sur la double prédestination, on peut se demander s’il ne se moque pas de ses adversaires dans sa manière de caricaturer la doctrine. Mais si on cherche à comprendre sa doctrine de la grâce, on se trouve au cœur de sa pensée.
Je présentera donc la doctrine de la grâce selon John Wesley, avec cette précision dans le sous-titre : le méthodisme wesleyen (ou arminien) en comparaison avec le méthodisme calviniste. Il y a beaucoup de littérature sur la théologie de Wesley et sa compréhension de la grâce, mais peu qui analyse les grandes lignes historico-théologique du dispute au sein du mouvement de réveil du XVIIIe siècle. La plupart dans cette dernière catégorie se limite à une comparaison entre John Wesley et George Whitefield, dans les premières années du réveil méthodiste (ex. : Antoine Schluchter, George Whitefield et John Wesley. Une controverse sur l’évangélisation. Mémoire de maîtrise Aix-en-Provence 1984). Ces comparaisons ont toujours tendance à présenter la controverse entre Wesley et Whitefield comme une nouvelle édition de la controverse lors du synode de Dordrecht. Par conséquent, elles cachent ou ne peuvent pas rendre compréhensible pourquoi Wesley et Whitefield ne se lancent pas réciproquement des anathèmes, mais continuent de se respecter comme frères en Christ et de garder même des liens amicaux - ce qui n’est pas le cas pour leurs prédicateurs réciproques. Ce qui unit Wesley et Whitefield doit donc être beaucoup plus important que ce qui les sépare. Ou, autrement dit : ce qui les sépare au niveau de la doctrine, ne doit pas compter pour eux comme fondamental et non négociable. Avant sa mort, Whitefield avait demandé que John Wesley prêchera le sermon funéraire ce qui fut une surprise pour bien de méthodistes calvinistes et précéda de peu une deuxième grande controverse sur le sujet.
Je procéderai en quatre étapes : Je commencerai avec un aperçu de la tradition arminienne, particulèrement au sein de l’Eglise d’Angleterre, ce qui a influencé les frères Wesley. Dans un deuxième point, nous entrerons dans le vif du sujet avec la controverse sur la prédestination au sein du méthodisme naissant des années quarante. Un troisième point présentera la controverse des années septante et un quatrième la théologie wesleyenne selon les œuvres de Jean Guillaume de la Fléchère (en anglais : John William Fletcher) qui défendit Wesley dans la controverse des années septante et fut considéré comme le théologien et le saint du méthodisme.
Parmi la littérature anglaise sur le sujet, il faut citer :
Allan Coppedge, John Wesley and the Doctrine of Predestination (Ph.D. Univ. of Cambridge, 1976).
Stephen Gunter, The Limits of ‘Love Divine’, Kingswood Books, Abingdon Nashville 1989.
Patrick Streiff, Reluctant Saint? A Theological Biography of Fletcher of Madeley, Epworth Press, 2001
Geoffrey Wainwright, on Wesley and Calvin, Uniting Church Press Melbourne 1987.
1.1 La voie médiane de l’Anglicanisme
A l’époque de la Réforme, sous le roi Henri VIII, il y avait plusieurs étapes qui ont marqué l’établissement de l’Eglise anglicane.
1) la séparation de Rome et la suprématie royale en matière de religion.
2) un début d’influence de la réforme luthérienne en Angleterre avec une nouvelle édition de la Bible en anglais et les premiers articles de foi à tendance réformatrice (parfois littéralement identique à la Confessio Augustana).
3) Sous le successeur d’Henry VIII, le roi Edward VI, l’influence réformatrice se fit sentir davantage et mena à une réforme du culte. L’archevêque Cranmer publia le livre officiel de prière, « The Book of Common Prayer » (Act of Uniformity, Pentecôte 1549, rév. 1552), qui devint, par décision du Parlement, la liturgie officielle de l’Eglise. Cranmer s’engagea également à réviser les articles de foi. Ces articles de foi étaient beaucoup plus protestants que les autres documents antérieurs. C’est dans cette révision des articles de foi, qu’une nouvelle influence, calviniste (plus précisément bucerienne) cette fois-ci, se fit sentir pour la première fois.
4) Un rétablissement de l’ordre ecclésial avec un maintien de la traditionnelle structure des trois ordres d’évêque, de prêtre et de diacre (également sous l’influence de Bucer). (Avec la conviction de Cranmer qu’évêque et prêtre appartiennent au même ordre, mais dans des fonctions différentes !)
Après un intermède recatholicisant et sanglant sous Marie (1553-58), la reine Elisabèthe Ière (1558-1603) consolida l’Eglise anglicane dans ses structures (1559, Act of Supremacy and Act of Uniformity). Trois éléments furent constitutifs pour l’Eglise anglicane : le livre de prière et de liturgies « Book of Common Prayer » (avec peu de changement concernant la saint-cène et la réintroduction des habits liturgiques traditionnels), les 39 Articles de foi (1571, un raccourci des 42 articles avec un peu plus d’influence calviniste) et une collection de sermons « Book of Homilies » (doublé en nombre depuis Cranmer). Les sermons contenus dans ce livre devraient être lus régulièrement pour l’instruction des paroissiens.
A l’époque de la reine Elisabeth, le calvinisme fut le courant majoritaire au sein du clergé. On l’appelle parfois de manière générale et peu précise « puritanisme ». Le calvinisme n’était pas seulement répandu parmi les prêtres, mais se trouvait également, en moindre importance, parmi la hiérarchie ce qui explique l’influence calviniste dans la révision des articles de foi. Un des archevêques de l’époque (John Whitgift) par exemple fut un calviniste en accord avec Bèze sur la doctrine de la double prédestination. D’une manière plus restreinte et plus précis, on appelle « puritanistes » le courant calviniste à l’intérieur de l’Eglise anglicane qui s’engageait pour une réforme plus conséquente de l’Eglise dans sa liturgie (y compris la question des habits liturgiques) et de la structure ecclésiale (l’épiscopat), afin de « purifier l’Eglise » (cf. Thomas Cartwright, prof. à Cambridge, qui lança ces questions dès 1570). A la fin du XVIéme siècle apparurent les œuvres de Richard Hooker (1554-1600) (The Laws of Ecclesiastical Polity, éditée dès 1593, derniers volumes posthumes en 1648 (suprématie royale) et 1662 (épiscopat). Hooker établit comme sources d’autorité l’Ecriture sainte, la tradition et la raison (en précisant leurs rôles respectifs et leurs dépendances). Il fonda théologiquement la « via media », la voie médiane, typique pour l’Eglise anglicane ; une voie médiane entre le catholicisme et la réforme continentale.
La réticence de l’épiscopat anglican envers la réforme calviniste devint plus marquée depuis les prises de position assez tranchées de Bèze concernant l’épiscopat. Déjà en 1559, et à nouveau dans les années septante (Synode d’Emden en 1571), Bèze s’engagea pour la vision presbytérienne avec une égalité entre tous les ministres. Il fit de ce point un élément essentiel pour le gouvernement de l’Eglise. Les puritains reprirent ces convictions concernant la nécessité de réformer la structure de l’Eglise. Evidemment, l’épiscopat anglican s’y opposa. Cette question d’ordre ecclésial joua également un rôle dans la tendance de la haute Eglise de favoriser finalement l’aile arminienne.
1.2 Les origines de l’arminianisme et son influence en Grande Bretagne
Calvin et sa théologie ont influencé un grand nombre de théologiens dans plusieurs pays européens. Il y a différentes manières de les grouper. On distingue en général les calvinistes aristotéliens et les calvinistes ramistes. Parmi les premiers se trouvent surtout Théodore Bèze (1519-1605) et ce qui deviendra l’orthodoxie calviniste (Synode de Dordrecht). Parmi les calvinistes ramistes se trouvent Arminius, mais également Perkins, Amyraut ou Coccejus. Deux contemporains, l’un en Angleterre et l’autre majoritairement aux Pays-Bas, était important pour le développement du calvinisme en Angleterre : Perkins et Arminius.
William Perkins (1558-1602) est à l’origine d’une tradition spécifiquement anglo-saxonne qui peut être appelée « la tradition de l’expérience de la prédestination », un courant important du puritanisme anglais. La question est focalisée sur : comment faire l’expérience du salut et comment avoir une preuve et ainsi une certitude d’être parmi les élus ? La foi qui sauve a son fondement dans la grâce irresistible. Mais la grâce agit de deux manières : tout d’abord, lors de la première œuvre de grâce, la volonté de l’homme est passive. La volonté est alors renouvelée afin que l’homme puisse croire, se repentir et obéir. Mais cette volonté renouvelée est trop faible pour agir seule. Elle a besoin d’une deuxième œuvre de la grâce qui la soutient. Sans cette synergie de la grâce avec la volonté renouvelée, l’homme perdrait à nouveau toute grâce. La certitude d’être élu ne se trouve qu’à travers les conséquences de cette élection dans une vie de foi et de sanctification. D’autres théologiens anglais qui suivirent Perkins accentuaient encore davantage la différence entre le réprouvé et l’élu en limitant la sphère du réprouvé : seul l’élu montre une recherche de Dieu et se tourne vers le bien (Baynes +1617). Par la suite, la compréhension de la foi sera de plus en plus marquée par un volontarisme et une insistance sur la confiance obéissante (‘fiducia’) et moins sur le contenu de la foi (‘assensus’). Petit à petit, l’obéissance devient une condition pour la foi. Il y a une préparation à la foi. Ces théologiens ont un double soucis : fortifier les âmes bouleversées par la question de la réprobation et d’éviter tout antinomisme. Cette tradition, issue de Perkins, culmine dans le synode de Westminster (1643-52).
Le contemporain de Perkins fut Jacob Arminius (1560-1609). Arminius s’était déjà exprimé contre la double prédestination développée par Bèze. Au début, il fut un admirateur des écrits de Perkins, mais le traité de Perkins sur la prédestination ne le convainc pas. Arminius voulait prolonger la pensée et les conséquences. Il était convaincu que la théologie ne soit pas une science théorique mais pratique qui demande l’acte de l’homme entier et que la prédestination nuise à l’éthique. Ainsi Arminius fut amené à développer sa théologie en formulant quatre décrets de Dieu :
1) d’envoyer son fils comme médiateur et sauveur ; (Jésus est mort pour tous les hommes - universalisme christologique)
2) d’accepter dans sa faveur ceux qui se repentissent et croient (le salut), mais de laisser dans leurs péchés les infidèles (la perdition) ;
3) de procurer de manière efficace et suffisante tous les moyens nécessaires à la repentance et à la foi ;
4) de sauver ceux dont Dieu sait de toute éternité qu’ils croiront et persévéreront et de condamner à la perdition ceux dont Dieu sait de toute éternité qu’ils ne croiront et ne persévéreront pas (la prescience de Dieu).
Pour Arminius, on peut résister à la grâce. On peut la perdre si on ne continue pas dans la foi. Par conséquent, la foi est avant tout obéissance, mais elle ne devrait pas être considérée comme mérite de l’homme. Plutôt, le croyant est celui qui ne résiste pas à la grâce.
Les élèves d’Arminius ont repris les éléments majeurs de sa pensée et l’ont formulée dans cinq propositions en vue de leur défense lors du synode de Dordrecht. Leur doctrine fut officiellement condamnée (Canons de Dordrecht 1619) :
1) Dieu a décrété que tous ceux qui croient en son Fils et y persévère seront sauvés ;
2) Le Christ est mort pour tous les hommes, mais seuls les croyants se réjouissent du pardon ;
3) L’homme doit être né de nouveau par l’Esprit de Dieu ;
4) La grâce est indispensable, mais elle n’est pas irrésistible ;
5) Par l’aide du Saint Esprit il y a une certitude actuelle, mais concernant le futur, la question reste ouverte si on peut tomber d’une ‘vie en Christ’.
Au XVIIème siècle, l’Angleterre a connu un intermezzo de la révolution puritaine (1644-1660), mais par la suite, une confirmation de la voie médiane dans l’anglicanisme (cf. les « Caroline Divines » sous Charles Ier, 1625-49, et sous Charles II, 1660-85). Ces « Caroline Divines » ont formé la « haute Eglise ». On considère cette « haute Eglise » souvent comme l’aile arminienne dans l’anglicanisme. Mais il faut être prudent. Il est difficile de trouver de noms de théologiens qui prennent ouvertement les positions arminiennes. Il me semble plutôt qu’il y a une sorte d’unité entre les gens de cette tendance de s’opposer à un calvinisme orthodoxe et à son contraire doctrinaire. Et cette opposition est motivée par différents éléments :
1) La peur de l’antinomisme (réelle ou irréelle) ;
2) L’abandon de la métaphysique aristotélienne et des disputes « théoriques » ;
3) L’accentuation sur les conséquences pratiques et morales de toute doctrine ;
4) La différenciation entre doctrines essentielles et doctrines secondaires ;
5) Le regard tourné plus loin dans le passé, vers l’Eglise primitive et sa théologie, sa liturgie et sa pratique.
La restauration à partir de 1660 (Act of Uniformity de 1662) ne fut pas seulement un retour en arrière vers l’époque antérieure, mais un refus plus net du calvinisme puritain. Ainsi, une partie du clergé a dû démissionner (les Non-conformistes). L’épiscopat joua un rôle de plus en plus important (succession apostolique, ordination par un évêque, distinction d’ordre entre prêtre et évêque). Egalement dans la deuxième moitié du XVIIème siècle prirent naissance les « Cambridge Platonists » qui, influencés par le néo-platonisme se situèrent proche de l’arminianisme. A leur tour, ils influencèrent les Latitudinariens (p.ex. l’évêque Edward Stillingfleet 1635-1699, l’archevêque John Tillotson, 1630-94) qui donnèrent naissance à un courant large et important dans l’Eglise anglicane (cf. « broad church »). La morale devint plus importante que les dogmes.
Pour la compréhension des débats au tournant du XVIIème vers le XVIIIème siècle, il est également important de noter qu’il n’y eut que très peu de re-édition des œuvres de Calvin. La connaissance générale se nourrit de manuels et d’œuvres de théologiens calvinistes. De manière simplifiée, on peut dire que le XVIème et le début du XVIIème siècle ont vu l’insistance sur l’orthodoxie et une compréhension de la foi basée sur le contenu de la foi (‘assensus’). Par contre, le XVIIIème siècle accentua la tendance, déjà commencée dans la tradition de l’expérience de la prédestination, à favoriser l’aspect relationnel de la foi en tant que confiance et obéissance (‘fiducia’). Si le champs de bataille au début du XVIIème siècle (Dordrecht) fut la vérité intelligible et fixée sur papier, le champs de bataille se déplaça au XVIIIème siècle (le siècle du réveil méthodiste) vers les questions de la certitude et de l’obéissance de la foi (‘fiducia’). Sous les mêmes mots, le combat devint un autre !
1.3 Les influences sur le réveil méthodiste naissant
Le réveil méthodiste (au sens large) fut fortement marqué par des éléments puritains-calvinistes : péché originel, justification par la grâce seule. Parmi les dirigeants du pays, il a éveillé les pires souvenirs de la révolution puritaine et de la guerre civile du XVIIème siècle et, par conséquent, a dû prouver qu’il ne déstabilise pas les fondements de l’Etat et de l’Eglise et qu’il a de saines conséquences éthiques. Je parle « d’éléments puritains-calvinistes » au pluriel parce que, en regardant de plus près, on remarque une certaines diversités de convictions au sein de cet héritage venant du XVIIème siècle. L’ambiance et le sentiment de vie dans Pilgrim Progress de Bunyan est autre que dans les œuvres de Baxter. Celui-ci, en tant que calviniste modéré sera souvent cité comme exemple par les méthodistes wesleyens.
Il est intéressant de noter que la redécouverte de la justification par la grâce ne fut pas seulement initiée par Whitefield et Wesley, mais que d’autres prêtres anglicans firent la même découverte, toujours aux alentours des années fin trente et de manière indépendante l’un de l’autre. Chacun passa par des moments de crise spirituelle intense où ses convictions et sa spiritualité antérieures s’écroulèrent. Une des raisons pour l’extension rapide du réveil méthodiste (au-delà de ses origines autour de Bristol et Londres) à d’autres régions du pays fut cette présence de personnes qui avaient fait les mêmes découvertes, suivies parfois de petits réveils locaux. La multiplicité de petits réveils a aidé à créer des liens entre les protagonistes. La découverte des vérités fondamentales de l’Evangile s’est fait de manière indépendante chez ces personnes et, en plus, est passée par des canaux d’influence différents. Il faut y ajouter les réveils à un niveau plus vaste, européens et transatlantiques.
Chez Whitefield, le livre de Scougal The Life of God in the Soul of Man déclencha la crise, le mena au quiétisme (Castaniza), aux mortifications, mais également à une lecture intense du Nouveau Testament. Et au milieu du désespoir, il fut touché par la grâce de Dieu et fit l’expérience d’une nouvelle naissance. Par la suite, il se lança dans la lecture : Alleine (1634-68; non-conformiste) Alarm to the Unconverted (1672), Baxter (1615-91; non-conformiste) Call to the Unconverted, mais surtout les Commentaires bibliques de Matthew Henry (1631-1714; non-conformiste). Tous les trois noms font partie de ceux qui avaient quitté l’Eglise anglicane en tant que non-conformistes après la restauration de 1662. Ils faisaient partie de la tradition calviniste-puritaniste. Par contre, la lecture d’ouvrages anglicans soit de l’époque de la Réforme soit des « Caroline Divines » de la haute Eglise ne jouèrent aucun rôle chez Whitefield ni avant sa conversion ni après. Son point de repère et d’orientation fut la tradition calviniste-puritaine qui était devenue minoritaire dans l’anglicanisme et qui s’était exilée (non-conformisme).
Chez Wesley, le cheminement était différent. Il venait d’une famille dont les parents étaient éduqués dans la pure tradition calviniste-puritaine et non-conformiste, mais dont les deux parents avaient décidé indépendamment l’un de l’autre de rejoindre l’Eglise anglicane parce qu’ils étaient convaincus d’y trouver l’Eglise véritable dans la tradition de l’Evangile. Les parents Wesley n’ont pour autant pas renié l’influence puritaine. Cette dernière s’est intégrée dans un ensemble plus vaste où les pères de l’Eglise et les réformateurs anglicans ont pris le dessus. Et John Wesley se prit des libertés avec la tradition puritaine. Lorsqu’il édita les 50 volumes de sa bibliothèque chrétienne, il inséra un nombre élevé d’ouvrages calvinistes-puritains, mais il prit simplement ce qui lui semblait important et traça le reste. Ainsi, il édita des ouvrages calvinistes en y laissant toutes les parties sotériologiques à l’exception des passages qui parlaient de la prédestination. Il biffa ces derniers. Au XVIIIème siècle, on était loin des éditions critiques modernes ! – Une autre influence majeure sur Wesley était le piétisme allemand, autant le piétisme des moraves que le piétisme de Francke. Le piétisme allemand, comme toute la tradition luthérienne, n’a jamais fait de la prédestination un élément-clé de sa théologie. Pour Wesley donc, la découverte de la justification par la gâce ne fut pas intrinsèquement liée à une doctrine spécifique de l’élection comme ce fut le cas chez Whitefield.
La relation entre Wesley et l’arminianisme anglican n’est pas simple. Il est vrai que Wesley peut s’appeler arminien face à un certain calvinisme. Ainsi, il créa un périodique dans les années septante et lui donna le nom évocateur Arminian Magazine (en opposition au Gospel Magazine de la tendance calviniste). Mais lorsqu’il fut attaqué par des calvinistes, il ne se positionna pas chez les anglicans arminiens de son époque, les Latitudinaires. Il fut également attaqué par ceux-ci. Wesley se positionna plutôt par une référence aux homélies des réformateurs anglicans ou par une référence à certains calvinistes modérés du XVIIème siècle comme Baxter !
1.4 Premières réflexions de Wesley concernant la prédestination
Les Articles de foi de l’Eglise anglicane contiennent l’article 17 concernant la prédestination et l’élection qui dit :
« Le dessein éternel de Dieu est la prédestination pour la vie par laquelle Dieu a constamment décrété (avant la fondation du monde) par son conseil qui est caché pour nous, de délivrer de la malédiction et damnation tous ceux qu’il a choisi en Christ parmi les hommes, et de les amener au salut éternel par le Christ, comme des vases d’honneur. »
Comment John Wesley réagit-il face à cet article ?
En été 1725 (13 ans avant sa conversion évangélique !), peu avant son ordination pour diacre (19.9.1725), il mentionna le sujet dans une de ses lettres à sa mère. Il se posa la question comment la prédestination peut être en accord avec la justice ou la grâce de Dieu : « Est-il miséricordieux d’ordonner une créature à la misère éternelle ? Est-il juste de punir l’homme pour un crime qu’il ne pouvait autrement que commettre ? Comment l’homme peut-il être un agent libre s’il est nécessairement déterminé à agir d’une manière précise ? » Vers la fin de la lettre, il revient sur le sujet et ajoute : « J’ai eu l’habitude de penser que la difficulté de la prédestination pourrait être résolu en supposant qu’il y avait en effet un décret d’éternité qu’un reste devrait être élu, mais qu’il soit dans le pouvoir de l’homme d’être de ce reste. Mais les mots de notre Article [l’article de foi 17] ne supporteront pas ce sens. Je ne vois aucune autre voie que d’accepter que quelques-uns peuvent être sauvés qui n’ont pas toujours été parmi le nombre des élus. » (lettre de John Wesley à Susanna Wesley, 29.7.1725)
Dans sa réponse, la mère évoqua plusieurs raisonnements qu’on retrouvera par la suite chez John (pour le texte de la lettre, cf. les sources primaires éditées sur ce site) :
- réfléchir aux décrets de Dieu fait partie des spéculations qu’il faudrait mieux abandonner en faveur d’un engagement pratique de la foi ;
- les calvinistes rigides soutiennent une doctrine de la prédestination qui n’est pas compatible avec la justice et la bonté de Dieu. La justice et la bonté de Dieu sont les éléments déterminants pour toute réflexion théologique ;
- l’homme doit être responsable de sa perdition. Afin d’être responsable, il doit avoir une liberté d’agir ;
- si jamais on se lance sur une voie spéculative, la prédestination ne peut être comprise qu’à travers la prescience [angl. : foreknowledge] de Dieu.
Il n’est pas connu que John aurait échangé des lettres à ce sujet avec son père. La réponse de sa mère lui avait donné les pistes pour former sa propre opinion. (Il imprimera la même lettre dans le premier volume de son nouveau périodique Arminian Magazine dans les années septante ! et au milieu de la controverse du début du réveil Susannah Wesley publia de façon anonyme Remarks on Whitefield’s Letters to Mr. Wesley. On His Sermon on Free Grace in a Letter From a Gentelwoman to Her Friend). Immédiatement avant sa première ordination en 1725, l’interprétation de l’article 17 préoccupa Wesley. On sait qu’il lut deux ouvrages interprétatifs concernant les articles de foi, en août et septembre 1725 : John Ellis A Defense of the Thirty-Nine Articles of the Church of England, et Isaac Watts, The Ruin and Recovery of Mankind. Par contre, on ne trouve pas de trace de la lecture de l’ouvrage standard sur la question avant août 1730, l’ouvrage de l’évêque Gilbert Burnet, An Exposition of the 39 Articles of the Church of England. Celui-ci dit que l’article en question soit délibérément ambiguë et permette une interprétation calviniste aussi bien qu’arminienne. A la suite de son ordination, le sujet de la prédestination ne réapparut plus pendant quelques années, jusqu’au début du réveil méthodiste. Là alors, le sujet devint brûlant et Wesley publiera un extrait de Watts. Donc, la position de base de Wesley se forma déjà pendant ses études à Oxford, plus précisément avant son ordination, mais le sujet n’occupa jamais une place importante parmi les préoccupations théologiques de Wesley. Ce furent des contraintes extérieures, tout d’abord la souscription aux articles de foi, puis la controverse au début du réveil, qui poussèrent Wesley à creuser le sujet et à se positionner soi-même. Au cœur de ses préoccupations fut très clairement la question de la sainteté de la vie chrétienne.
2.1 Les débuts de la controverse
Dans trois domaines, des conflits surgirent au début du réveil. Parmi ces trois figura la doctrine de la prédestination.
La controverse sur la prédestination apparut avec le réveil. Les mois entre la conversion évangélique des frères Wesley et le début du réveil à Bristol furent déjà marqué par un début de discussion sur le sujet. John le retrouva lors de son voyage vers les moraves en Allemagne, Charles dans sa prédication dans les sociétés à Londres. Mais les deux frères Wesley et Whitefield travaillèrent avec un grand estime mutuel. Chacun recommanda l’autre de tout cœur. John Wesley remarqua que sa conviction du salut offert pour tous amena d’autres à poser des questions concernant la prédestination. Il décida de mettre ses convictions sur papier, pour lui-même (cf. son journal intime, le « diary » du 25 avril 1739). Prêchant dans une prison, il fut amené à en parler ouvertement. Indécis s’il devait vraiment en parler et publier quelque chose, il tira au sort, selon l’habitude des moraves (cf. également des textes bibliques). Le sort était en faveur d’une publication. Wesley se mit alors à écrire son sermon « La libre grâce ». Toujours hésitant s’il devrait vraiment le prêcher et ainsi ouvrir la controverse, il tira à nouveau au sort et le sort fut positif. Il alla donc de l’avant. Sur ce début de controverse, il faut préciser :
- Wesley ne se lança dans la controverse qu’à contre-cœur et fut quand même celui qui l’ouvrit en s’y sentant poussé par le sort. Pour lui, la prédestination et la réflexion sur les décrets éternels de Dieu ne furent pas parmi ses préoccupations premières.
- Wesley fut averti par la société de Fetter Lane à Londres, par Whitefield et par d’autres de ne pas toucher le sujet parce que trop de personnes (!) soient favorables aux convictions calvinistes. La majorité était calviniste. La position de Wesley fut celle de la minorité.
- Une lettre circulant déjà à Bristol attaqua Wesley de pervertir la vérité en prêchant contre le décret divin de la prédestination. La question fut donc déjà débattue dans quelques cercles de réveillés, même si les protagonistes du réveil essayèrent encore de ne pas en parler ouvertement.
- Par la suite, Wesley prêcha pendant quelques jours le sermon sur la libre grâce, puis, retourna aux sujets habituels, c’est-à-dire il insista sur le thème de la prédestination pendant un court moment afin de clarifier sa position. Le sermon ne fut intégré par lui ni dans le corps habituel de sa prédication orale ni, plus tard, dans la collection de ses sermons de référence.
- A la même époque (entre les premières prédications orales et la publication du sermon), Wesley lut ouvrage de John Gill, probablement son dernier The Cause of God and Truth. Gill était un ardent défenseur d’un calvinisme rigide. Le sermon de Wesley s’opposa surtout à la doctrine de la réprobation fortement développée chez Gill.
- Whitefield intervint pour éviter la rupture. Les deux protagonistes se rencontrèrent avant le départ de Whitefield pour les Etats-Unis. Celui-ci attesta que le ministère de Wesley a porté beaucoup de fruit. Il semble que Whitefield se pencha davantage sur la question après de son départ vers l’Amérique en été 1739. Il revint en Angleterre avec des convictions plus explicites.
- Fin août, Charles Wesley vint à Bristol et parla ouvertement du sujet en cause. Il présenta ses convictions qui furent en accord avec celles de John.
- Le sermon sur la libre grâce de John Wesley fut publié fin été 1739 (la date exacte n’est pas connue). Il y eut plusieurs éditions des deux côtés de l’Atlantique, mais Wesley ne l’inclut ni parmi ses sermons de référence ni dans sa collection de sermons (Sermons on Several Occasions). Le sermon ne revient que parmi les publications de controverse dans l’édition des œuvres de 1773 (no. 110).
Donc, la controverse éclata au grand jour au moment où les protagonistes étaient séparés par l’Atlantique et aucune entrevue personnelle ne fut possible. A la suite, Whitefield répliqua avec une lettre ouverte. Cennick publia une lettre privé de Whitefield à Wesley et la distribua devant les lieux de rassemblement de Wesley à Londres. La société de Kingswood se divisa : nonante personnes allèrent avec Cennick, cinquante-deux restèrent avec Wesley. Wesley publia Serious Considerations of the Doctrines of Election and Reprobation, 1740, un abrégé de l’ouvrage de Watts, ainsi que, ensemble avec son frère Charles Hymns and Sacred Poems, 1740. La bataille continua tout au long des années 1740 et 41.
La plupart des réveils en Grande Bretagne et en Amérique étaient en effet de tendance calviniste. Le renouveau d'une forte doctrine de grâce est en général accompagné d'un regain de la doctrine de la prédestination et, à plus long terme, plutôt dans la deuxième génération, de l'antinomisme. Le réveil du XVIIIème siècle ne fit pas d'exception. L'exception, ce furent plutôt les frères Wesley. Aujourd'hui, en regardant en arrière, on a tendance à minimiser l'influence de la branche calviniste dans le réveil méthodiste en Angleterre parce que cette partie du réveil ne s'est pas constituée dans un mouvement bien organisé comme les méthodistes wesleyens, mais au début les adeptes de Wesley furent dans la minorité. Deux ans après le début du réveil, le mouvement s'était divisé dans une branche calviniste et une branche arminienne ou wesleyenne.
Le texte pour le sermon sur « la libre grâce » (sermon no. 110) fut tiré de Romains 8, 32 : « Lui qui n'a épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas [librement] tout. » (Le sermon se trouve sur ce site internet dans la série des sermons de Wesley). Dans les premiers trois paragraphes, Wesley décrit sa position : Dieu aime le monde. Le Christ est mort pour les pécheurs. La grâce ou l'amour de Dieu, d'où notre salut vient, est libre en tous et pour tous. Elle est libre en tous, c'est-à-dire elle n'est pas liée à un pouvoir de l’homme ou aux œuvres de l'homme. Dieu est l’auteur de tout ce qui est bon en l'homme. La grâce œuvre en nous. Wesley pose alors la question, si la grâce est également libre pour tous. Là, dit-il, quelques-uns s'opposent et disent: « Non, elle est uniquement libre pour ceux que Dieu a ordonné à la vie, et ils ne sont qu'un petit troupeau. » C'est ici que la controverse s'ouvrit. Il faut bien réaliser le point de séparation : non pas que la grâce de Dieu opère en tous et qu'elle n'est pas liée à une œuvre de l'homme. Mais Wesley considéra la doctrine de la prédestination comme opposée à la vérité que la grâce soit libre pour tous.
Wesley présenta alors la doctrine de la double prédestination et s'opposa à tous les contre arguments de ceux qui disent qu'ils n'enseignent que l'élection à la vie. Il utilisa une logique tranchante qui ridiculisa tout contre argument (paragraphes 4 à 9). Ce fut le scholastique d’Oxford, le professeur raisonnable qui donna sa leçon. En même temps, il faut dire que Wesley fut préoccupé par les critiques contemporains contre la révélation chrétienne qui disaient que le christianisme est soit irraisonnable soit non nécessaire (paragraphe 19). Pour Wesley, toute doctrine calviniste de l’élection inclut nécessairement son corollaire, la doctrine de la réprobation. Cette dernière fut particulièrement visée par les critiques de Wesley. Dans sa prédication, Wesley énuméra toutes les conséquences néfastes de cette doctrine (toute en disant que les personnes concernées vivent souvent une vie exemplaire) : elle nuit à la prédication, à la sainteté, à l'amour, au bonheur, à l'assurance et au témoignage de l'Esprit en nous (ici il inclut sa contre position que l'assurance et le témoignage de l'Esprit ne sont pas donnés une fois pour toute, mais sont les conséquences immédiates d'une vie avec Dieu, de moment en moment), à notre zèle pour de bonnes œuvres et pour la charité (paragraphes 10 à 18). Wesley ira encore plus loin dans ce sermon : La doctrine de la prédestination a tendance à contredire et à détruire la révélation chrétienne. Dieu se contredirait, deviendrait un menteur, un tyran injuste et omniprésent etc. La doctrine de la prédestination est un blasphème (paragraphes 19 à 28). Seulement tout à la fin du sermon, Wesley accepta la notion d'un décret de Dieu par prescience (Dieu prévoit si l'homme se décide pour ou contre la grâce, paragraphe 29). Ce dernier paragraphe ne fut par la meilleure réponse et tendit vers un semi-pélagianisme. Les calvinistes en profiteront par la suite pour contre-attaquer Wesley.
En outre, on remarque que Wesley défend le libre arbitre de l'homme. Pourquoi ne donna-t-il pas au sermon le titre ‘le libre arbitre’ au lieu de « la libre grâce » ? Pour Wesley, le libre arbitre n'est pas naturellement en l'homme, mais il est le premier des fruits de la grâce divine. Wesley devra le répéter et souligner par la suite pour éviter des malentendus: Dieu a libéré la volonté de l'homme entièrement pécheur afin qu'il puisse accepter volontairement cette grâce et se tourner vers Dieu.
Dans ce sermon, Wesley travailla beaucoup en utilisant la raison et l’argumentation. Il cita beaucoup de textes bibliques, surtout ceux en sa faveur, mais il est rare qu'il discuta l'exégèse d'un texte. A quelques exceptions près, il ne juga pas nécessaire d’entrer dans une discussion sur des textes bibliques. Cela montre, qu'il fut tout à fait convaincu que le message de la Bible soit de son côté. En postface, John Wesley ajouta un poème de son frère Charles sur la « rédemption universelle ». Charles prit souvent des positions plus tranchées que John dans les années 1740 à 41.
En 1741, Wesley se lance dans l’étude de la prédestination dans les bibliothèques d’Oxford. Il lit sur le synode de Dordrecht aussi bien que les œuvres d’un évêque (Bull, Harmonica Apostolica) qui s’oppose au calvinisme comme conduisant à l’antinomisme. Il publie un petit traité qui se présente en forme de dialogue entre un défenseur de la prédestination et son ami (A Dialogue Between a Predestinarian and His Friend, 1741). Les paroles du défenseur sont tirées des œuvres de Calvin, Piscator, Zanchius et autres, toujours avec indications des sources. Ainsi Wesley voulut montrer que sa propre présentation du calvinisme ne fut pas une exagération, mais correspondit aux pensées d’éminents théologiens calvinistes. Au cours du dialogue, le défenseur évoqua que Dieu ordonne toute chose y compris la chute d’Adam ; que la volonté de l’homme est gouvernée par la volonté irrésistible de Dieu ; que le péché était nécessaire et causé par des actions que Dieu a décrétées ; que l’élection ne peut pas être maintenue sans la réprobation. Son partenaire de dialogue dit alors au défenseur de la prédestination qu’il ne peut pas trouver ces doctrines dans la Bible et qu’il est convaincu qu’elles portent de mauvais fruits.
Dans ce dialogue - comme dans le sermon sur la libre grâce - Wesley poussa le défenseur a formulé sa doctrine d’une manière tellement pointue que la plupart des méthodistes calvinistes ne s’y retrouvaient pas. Mais Wesley fut convaincu qu’il faut soit adopter tout soit laisser tomber tout.
En plus de deux autres traités publiés en 1741 (The Scripture Doctrine Concerning Predestination, Election, and Reprobation. Extracted from a late Author et Serious Consideration on Absolute Predestination, un extrait du quaker Robert Barclay), les frères Wesley publièrent également un recueil de cantique (Hymns on God’s Everlasting Love). Les cantiques ont fortement marqué la spiritualité des méthodistes wesleyens. Ils présentent un Dieu plein d’un amour éternel (cf. également le verset d’un cantique dans les sources primaires sur ce site).
2.2 Rapprochement entre les protagonistes calvinistes et wesleyens du réveil :
A l’époque de la controverse des années quarante, un personnage du réveil réalisa que les différences sont moins grandes que la dispute laissait apparaître : Howell Harris. Celui-ci prit contact avec les frères Wesley et réconcilia Whitefield et les frères Wesley. Harris écrit à Charles Wesley en août 1742 :
« Je vois que le Seigneur nous rapproche peu à peu. Peut-être nous avons trop penché, à vos yeux, vers la réprobation, même si nous n’avons jamais eu cette intention d’attribuer la damnation de l’homme à la volonté décrétée et sans condition de Dieu. Nous essayons de sauvegarder la gloire de Dieu dans le salut de l’homme ; et vous essayez de sauvegarder la justice de Dieu en mettant la damnation de l’homme sur sa propre volonté. Il est probablement du devoir de nous tous d’être plus prudent dans nos paroles. »
En 1743, une conférence réunit Whitefield, Harris et les deux frères Wesley et ils cherchèrent le plus grand dénominateur commun. Peu est connu de cette réunion qui avait affermi le contact personnel et la reconnaissance mutuelle entre les protagonistes du réveil (à l’exception des moraves qui avaient décliné l’invitation). Un vrai consensus doctrinal ne fut pas élaboré, mais John Wesley essaya de poursuivre les efforts dans cette direction. A ce but, il écrivit des propositions qu’il inséra dans son journal, sous la date du 24 août 1743 (cf. le texte publié dans les sources primaires sur ce site).
Parmi les trois points doctrinaux évoqués, l’élection inconditionnelle, la grâce irrésistible et la persévérance finale, le troisième est le moins développé. Le texte est peu connu, peut-être dû au fait qu’il est simplement inséré dans le journal. Il est typiquement wesleyen en ce qu’il n’entre pas dans une réflexion supposée théorique concernant les décrets éternels. Il se préoccupe de leurs effets dans la vie des hommes. Le document est particulièrement intéressant parce qu’il sort des sentiers battus qu’on trouve dans beaucoup d’autres textes. Wesley y formule plus clairement que dans les traités de controverse, jusqu’à quel point il peut être d’accord avec ses amis calvinistes. Sous le sigle de la grâce, Dieu peut élire inconditionnellement, agir irrésistiblement et accorder une persévérance jusqu’à la mort, mais cela ne décrit pas l’ensemble de son action de grâce pour le salut des hommes.
Il n’est ni connu si Wesley a envoyé ce document à ses amis calvinistes ni une réaction de la part de ceux-ci. Mais dans la pratique, Howell Harris réunit une première conférence des méthodistes calvinistes du Pays de Galles, peu après ces événements. L’année suivante, Wesley fait de même pour ceux qui sont proches de son mouvement, en invitant des prêtres anglicans amis et un choix limité de ses prédicateurs laïques. Ainsi naît la « Conférence annuelle » des méthodistes.
2.3 Les formulations doctrinales des premières conférences annuelles de l’aile wesleyenne :
La conférence annuelle a le but de formuler le contenu de la doctrine prêchée parmi les méthodistes wesleyens, la manière de la prêcher ainsi que des aspects pratiques de l’organisation de l’œuvre. Ainsi, trois sujets principaux sont abordées : la doctrine, la discipline et la pratique. Les procès-verbaux sont très courts, rédigés en question et réponse, mais sans indication des débats.
Lors de la première réunion de 1744, les discussions commencent sur les questions doctrinales. Une bonne partie des questions reflètent les discussions au sein du réveil soit d’avec l’aile calviniste soit d’avec l’aile morave (cf. le document dans les sources primaires, publiées sur ce site). Elles soulignent qu’on ait trop penché vers le calvinisme et vers l’antinomisme. La réponse apportée montre alors une certaine divergence avec le calvinisme concernant la place et l’importance des œuvres. Elle distingue les œuvres qui précèdent à la foi et celle qui la suivent.
L’année suivante, 1745, plusieurs participants évoquent que les réponses données en 1744 étaient compliquées. La conférence revoit l’ensemble. Elle essaie d’apporter des clarifications. On remarque les difficultés avec le terme de ‘condition de la justification’ parce qu’on souligne d’un côté que la foi en Christ est la seule condition de la justification, mais de l’autre côté que la repentance précède la foi et que des œuvres convenables à la repentance sont nécessaire s’il y a possibilité de les faire. Ne sont-elles donc pas une condition à la justification ? Ne s’agit-il donc pas d’une pure lutte verbale ? La Conférence trouve qu’il ne vaut pas la peine de continuer une dispute concernant le terme de ‘condition’. On décide de lire ensemble les Aphorisms concerning Justification de Richard Baxter. Celui-ci fait découvrir aux méthodistes wesleyens qu’ils sont en commun accord avec des calvinistes modérés du siècle précédent. Par la suite, Baxter sera souvent cité comme référence au sein du méthodisme wesleyen.
En 1745, au cours de la révision du procès-verbal de la conférence précédente, on se penche sur les différences avec le calvinisme et l’antinomisme. On minimise la différence qui est « moins que la largeur d’un cheveu » (cf. le document dans les sources primaires, publiées sur ce site). Dans aucun des procès-verbaux des premières conférences ne sont mentionnées les doctrines de l’élection et de la réprobation ou des décrets de Dieu, ni positivement ni négativement ! Cette absence est révélatrice : les méthodistes wesleyens étaient convaincus qu’il ne faut pas entrer dans une discussion sur les décrets de Dieu cachés à nos connaissances, mais aborder les questions de la vie de foi chrétienne. Ils n’essaient donc pas de formuler des contre-propositions contre la conception calviniste de la prédestination, mais s’abstiennent d’entrer dans le débat à ce niveau. Pour les méthodistes wesleyens, la doctrine de la prédestination ne fut plus considérée comme une question touchant une vérité fondamentale du christianisme, mais une opinion. Une différence d’opinion pouvait donc exister sans nécessité de se séparer. Il n’en était pas toujours ainsi. A la hauteur de la controverse des années quarante, Wesley avait tendance à considérer la conception calviniste comme subversive à la vérité chrétienne. A un seul endroit, dans les années soixante, il reconnut qu’il était trop dur et agressif dans son jugement :
« Mon frère et moi nous avons pensé ainsi il y a trente ans. Nous avons pensé que ce soit notre devoir de nous opposer à la prédestination avec toute notre force ; non pas comme une opinion, mais comme une faute dangereuse qui semble être subversive à la fondation même de l’expérience chrétienne et qui a, en effet, donné occasion à des offenses les plus graves. Je sais qu’elle a donné occasion à de telles offenses ; je peux citer le temps, la place et les personnes. » (lettre à John Newton, JW-Letters, vol. V, p. 115)
Wesley considéra une doctrine qui était compatible « avec l’amour du Christ et une œuvre de grâce » comme une opinion. En général, les doctrines de l’élection et de la persévérance finale furent considérées comme telles par Wesley. (cf. lettre à John Newton 1765, JW-Letters, vol. IV, p. 297). A côté de telles différences d’opinion, trois doctrines fondamentales unissaient l’ensemble des méthodistes, calvinistes ou wesleyens : le péché originel, la justification par la foi et la sainteté du cœur et de la vie. Autour de ces trois fondements, Wesley essaya d’unir le mouvement méthodiste dans les années soixante. La sainteté du cœur et de la vie demeurait le grand but final pour lui. Il jugea le calvinisme d’après l’effet qu’il produisit dans la vie d’un chrétien. Ce qui aida à promouvoir ce but fut bienvenu. Si quelque chose s’y opposa, Wesley la combattit. Ce fut pour lui le critère pour juger la doctrine de la prédestination.
2.4 Les publications concernant la doctrine de la prédestination entre les années quarante et soixante-dix :
La période entre le milieu des années quarante et 1770 ne connaissait pas de controverse forte et ouverte sur la question de la prédestination entre les deux ailes du méthodisme. Dans de nombreuses publications de Wesley à cette période, on trouve des ouvrages qui touchaient le sujet. A aucun moment, il ne fut primordial. Nous parcourons rapidement les publications les plus importantes.
Entre 1749 et 55, John Wesley publia des extraits de plus de septante auteurs divers dans les cinquante volumes de la bibliothèque chrétienne, la « Christian Library ». Il s’agit de son plus ambitieux projet d’édition. On y trouve Wesley comme éditeur qui prit la liberté d’utiliser les ciseaux pour couper tout ce qui ne lui plut pas chez un auteur et de ne garder ce qui lui sembla promouvoir la vie chrétienne. Parmi les auteurs choisis, il y avait un bon nombre de calvinistes-puritains. Wesley publia également petit catéchisme de Westminster, mais raccourci. Toutes les parties qui concernent l’élection et la prédestination, l’appel effectif, les décrets et la perfection furent biffées. Ici et là des mots furent changés pour éviter le « langage calviniste ». Très rarement, quelques mots ou phrases restaient dans les textes ce qui fut reproché à Wesley comme inconséquence, plus tard.
Dans deux autres traités, Wesley s’opposa à un auteur qui ne fut pas un méthodiste calviniste. Il s’agit du pasteur baptiste John Gill (1697-1771) qui défendit un calvinisme rigide et s’opposa ouvertement à Wesley. Le long silence de Wesley fit penser à plus d’un méthodiste calviniste que les frères Wesley se soient rangés de leur côté. Wesley voulut donc clarifier sa propre position. Le point de départ de ses réflexions fut la question de la persévérance des croyants. Il écrivit un court traité sur le sujet, mais redoubla avec un traité beaucoup plus long et étendu concernant la prédestination.
Le court traité fut publié en 1751 (Serious Thoughts Concerning the Perseverance of the Saints). Il énumère des textes bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament en choisissant ceux qui parlent soit de croyants qui ont chutés soit de promesses de fidélité de Dieu. Wesley mit ses promesses en rapport avec les conditions que Dieu pose : l’obéissance de l’homme. A deux tiers du traité, un correspondant virtuel dit « Mais alors tout mon réconfort s’écroule ». Wesley répond que cette certitude repose sur un pauvre fondement. C’est alors que Wesley décrit brièvement sa propre conception de la certitude de la foi : « Mon réconfort ne repose pas sur une quelconque opinion soit qu’un croyant puisse ou ne puisse pas chuter, ni sur un souvenir de quelque chose qui a été fait en moi par le passé, mais il repose sur ce qui est aujourd’hui ; sur ma connaissance présente de Dieu en Christ qui me réconcilie avec lui-même ... » Wesley souligne l’importance de la foi vécue dans le présent. Cette foi active implique également la joie et le réconfort du salut. Wesley termine son traité plutôt abruptement avec un avertissement tiré de 1 Corinthiens 10,12 : « Ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber. »
Le traité plus long fut publié l’année suivante, en 1752 (Predestination Calmly Considered ; cf. les extraits dans les sources primaires citées sur ce site internet). Wesley commence ce traité par un rappel de l’expérience chrétienne : Par moments, la grâce nous touche de manière irrésistible. Mais Wesley refuse la suite que beaucoup de chrétiens en tirent. La grâce de Dieu n’agit pas toujours de manière irrésistible. La foi qui persévère n’est pas l’effet d’une prédestination absolue et inconditionnelle voulue par Dieu avant la fondation du monde. Wesley cite plusieurs textes calvinistes, la confession des réformés français, le synode de Dordrecht, la Confession de Westminster et l’Institution de Calvin.
D’abord, Wesley s’adresse à ceux qui acceptent un décret d’élection, mais pas de réprobation. Avant d’argumenter avec eux, Wesley souligne qu’il ne les considère pas comme des ennemis : « Et faisons tout dans l’amour et dans l’humilité de la sagesse comme il convient à ceux qui font bataille sous le même capitaine et qui espèrent humblement être, par lui, des co-héritiers de la gloire qui sera révélée. » Wesley aimerait alors démontrer qu’on ne peut pas défendre un décret de l’élection inconditionnelle et en même temps refuser un décret de la réprobation inconditionnelle. Il les invite à être conséquents. Cette partie est essentiellement axée sur une argumentation logique, enrichie par des citations de théologiens calvinistes (parties 4-15). L’opposent fictif lui pose alors la question comment lui, Wesley, interprète les textes bibliques qui parlent de l’élection (parties 16-19) et distingue une élection personnelle, absolue et inconditionnelle de certaines personnes et une élection qui est conditionnelle aussi bien que la réprobation qui y est opposée est conditionnelle, c’est-à-dire liée à la condition de la foi. Puis suivent de longues citations de textes bibliques de l’AT et du NT qui ne sont pas compatibles avec la doctrine de la réprobation et qui sont en faveur de la volonté de Dieu de sauver tous. Il est évident que l’argument de Wesley contre la doctrine de la prédestination repose surtout sur le refus de la doctrine de la réprobation comme contraire à l’Ecriture, à l’équité et à la responsabilité de l’homme.
Wesley donne une exégèse plus détaillée de Rom. 9,25-28. L’idée de la souveraineté de Dieu ne doit jamais être exaltée au prix de la justice ou de la miséricorde de Dieu. Par la suite, Wesley reprend les différents arguments sous l’aspect de la justice divine afin d’amener le lecteur à une conception qui soit en accord avec cette justice. Il reprend également les textes qui parlent d’une invitation générale à tous les hommes de croire à l’Evangile. Wesley arrive à la conclusion tranchante :
« 44. <...> Faites donc votre choix. Si, à cause de l’élection, vous voulez avaler la réprobation, bon. Mais si vous ne pouvez pas digérer cela, vous devez nécessairement abandonner l’élection inconditionnelle.
En contrepartie, Wesley développe sa compréhension de la libre volonté, renouvelée à l’homme par Dieu. Il peut donc y avoir une synergie entre Dieu et l’homme dont le fondement et le pouvoir de l’accomplir viennent de Dieu :
« 47. Si vous dites alors ‘Nous attestons à Dieu seul toute la gloire pour notre salut ;’ je réponds, nous le faisons également. Si vous ajoutez, ‘Mais nous affirmons que Dieu seul fait toute l’œuvre, sans que l’homme fasse quoi que ce soit ;’ dans un sens, nous admettons cela également. Nous admettons que c’est l’œuvre de Dieu seul qui justifie, sanctifie et glorifie ; et ces trois comprennent l’ensemble du salut. Mais nous ne pouvons pas admettre que l’homme puisse simplement résister et qu’il ne puisse en aucune manière ‘travailler ensemble avec Dieu ;’ ou que Dieu soit l’artisan complet [anglais : the whole worker] de notre salut, en excluant toute œuvre de l’homme. Je n’ose pas dire cela ; parce que je ne peux pas le prouver par l’Ecriture ; c’est même ouvertement contraire à elle ; car l’Ecriture dit explicitement que (ayant reçu le pouvoir de Dieu) nous devons ‘travailler à notre salut ;’ et que (après que l’œuvre de Dieu ait commencé dans nos âmes) nous sommes ‘des ouvriers ensemble avec Lui.’ »
Wesley montre cette conception soit en accord avec les attributs divins de sagesse, justice et miséricorde. Il explique sa compréhension de la vie de Pharaon et d’Esau et discute la signification de l’alliance. Suivent des paragraphes concernant la persévérance et la grâce irrésistible. Wesley termine avec des mots très durs concernant les effets de la doctrine de la prédestination et avec une exhortation de chercher et de progresser dans la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur. Sur ce dernier but, Wesley écrit à nouveau dans des termes plus conciliants et dans l’espoir d’œuvrer ensemble dans le vignoble du Seigneur.
Wesley n’avait pas le temps d’écrire lui-même un commentaire. Dans ses annotations au Nouveau Testament (Explanatory Notes upon the New Testament, 1754 ; cf. les extraits dans les sources primaires publiées sur ce site), il se basa entre autres sur le Gnomon de Bengel. Les annotations de Wesley n’apportent pas d’éléments différents ou nouveaux par rapport aux autres traités déjà mentionnés. Wesley souligne la grâce offerte à tous et la conditionnalité du salut. Une annotation étonnamment longue est ajoutée à la suite de I Pierre 1, 2 « élus selon le dessein de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, pour obéir à Jésus Christ et avoir part à l’aspersion de son sang. » (TOB) Wesley traduit ‘dessein’ avec ‘la prescience de Dieu’. Il explique le verset par une annotation dont le ton virulent est marqué par une controverse en cours dans le réveil, suite aux publications de Hervey :
« Mais la doctrine de la prédestination a été complètement changée par rapport à ce qu’elle était autrefois. Maintenant, elle n’implique ni foi, ni paix, ni pureté. Elle est quelque chose qui peut se faire sans tout cela. La foi n’est plus, selon le plan de la prédestination moderne, une divine ‘évidence des choses non visibles’, produite dans l’âme par le pouvoir immédiat de l’Esprit saint : aucune évidence du tout : une simple notion. De même, la foi n’est plus un moyen de la sanctification ; mais quelque chose qui peut se faire sans cela. Le Christ n’est plus un Sauveur du péché ; mais quelqu’un qui le défend et l’approuve. Il n’est plus une source de vie spirituelle dans l’âme du croyant, mais il laisse ses élus intérieurement secs et extérieurement sans fruits ; »
Dans les annotations à l’Ancien Testament (Explanatory Notes upon the Old Testament, 1765), Wesley abrégea les commentaires calvinistes de Matthew Henry et Matthew Poole. Dans la préface, il indiqua clairement qu’il avait tracé toute référence à la prédestination et qu’il voulait faire apparaître plus clairement que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ».
2.5 La controverse avec Hervey sur la justice imputée :
James Hervey était parmi les méthodistes de la première heure, c’est-à-dire des étudiants à Oxford. Il devint prêtre anglican. Il avait vécu une conversion évangélique en 1740, mais refusa d’entrer dans un ministère itinérant à côté des frères Wesley ou de Whitefield à cause de sa santé fragile. Il mourut en 1758. Il était attaché à la doctrine de la persévérance des saints, mais ne s’engagea pas trop dans les discussions concernant la prédestination et la réprobation. En 1755, il publia l’ouvrage Theron and Aspasio, comportant trois volumes. Il y traita les doctrines du péché originel, de l’expiation et surtout de la justice imputée du Christ. L’ouvrage se présenta en forme de dialogues. Hervey souligna le côté objectif de l’expiation de telle sorte que la justification devint inconditionnelle.
Wesley loua plusieurs parties de l’ouvrage de Hervey, particulièrement concernant le péché originel. Mais il fut opposé à sa doctrine de la justice imputée du Christ, car il ne la trouva pas dans les Ecritures. Wesley n’accepta que la phrase scripturaire de ‘la foi comptée pour justice’. Il condamna une conception purement objective de la justification qui exclut ou passe sous silence le renouveau opéré par Dieu dans la vie de l’homme. On y remarque à nouveau le souci de sauvegarder le but de toute vie de foi : la sainteté du cœur et de la vie. Wesley reprocha à Hervey d’être un antinomien dans ses principes théologiques, pas dans ses actes. Pour contrecarrer l’influence de Hervey, il publia A Preservative Against Unsettled Notions in Religion, en 1758. Il s’agit d’un recueil de plusieurs petits traités sur la prédestination et l’antinomisme. D’autres traités suivirent dans les années soixante ainsi qu’un sermon majeur, intitulé ‘Le Seigneur notre Justice’ (The Lord our Righteousness, sermon no. 20, publié en 1765). Dans celui-ci, il répéta sa conception de la justice imputée sur la base du salut par la foi seule. Grâce à la foi, la justice nous est imputée. Nous sommes comptés justes. Mais, et là réside la particularité de Wesley : cette justice imputée veut (et doit, si nous en avons l’occasion) devenir une justice inhérente. Le changement relationnel entre Dieu et l’homme mène à un changement réel de notre vie vers le but final de la sainteté.
3.1 La controverse avec Auguste Toplady
En 1768, six méthodistes calvinistes furent expulsés de l’Université d’Oxford (à leur charge : visiter des conventicules non autorisés, prêcher sans autorisation, prier sans liturgie, s’associer à des méthodistes). Whitefield envoya une lettre de protestation. Richard Hill écrivit un ouvrage Pietas Oxoniensis et dit que les étudiants furent expulsés parce qu’ils étaient des calvinistes bien que l’Eglise d’Angleterre soit officiellement calviniste. La réponse d’un doyen à Oxford défendit la position médiane de l’Eglise entre calvinisme et arminianisme. Une controverse éclata par des traités publiés de divers côtés. Parmi eux, Auguste Toplady publia The Church of England Vindicated from the Charge of Arminianism. Toplady posa la question comment des arminiens pourraient en conscience souscrire aux articles de foi. Son calvinisme était très rigide (« hyper-calvinism »). D’autres ouvrages suivirent. Il est intéressant de noter qu’on a trouvé dernièrement, dans la bibliothèque de Toplady, un exemplaire des Annotations sur le Nouveau Testament de Wesley. Toplady y ajouta en marges ses propres commentaires dont plus de la moitié concernaient des différences sur la doctrine de la prédestination.
Dans la controverse avec Toplady, Wesley publia un tout petit traité sur la question « Qui est un arminien ? » (The Question ‘What Is An Arminian ?’ Answered. By A Lover of Free Grace, ca. 1770/73) . Wesley commença son traité par les mots : « Dire que cet homme est un arminien a le même effet sur beaucoup de gens que de dire ‘c’est un chien sauvage’. » Wesley aborda le mélange souvent fait entre arminiens et ariens, puis décrivit brièvement la vie et les reproches faits aux arminiens. Wesley souligna qu’il ne soit pas juste de leur reprocher de refuser le péché originel ou la justification par la foi. Et il y ajouta la comparaison avec la situation parmi les méthodistes : « Dans ces deux points les deux parties sont d’accord. En ceci, il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu qui sépare M. Wesley et M. Whitefield. » Wesley n’accepta la différence que dans trois autres domaines : les arminiens refusent la prédestination absolue ; ils refusent que la grâce soit irrésistible ; et ils affirment qu’un croyant peut tomber de la grâce. Après une très brève explication des points de controverse, Wesley souligna « Jean Calvin était un homme pieux, érudit et sensible, de même Jacques Arminius. Beaucoup de calvinistes sont des gens pieux, érudits et sensibles, de même beaucoup d’arminiens » et il termina avec un appel aux arminiens de ne pas utiliser le terme de calviniste en faisant des reproches et vice versa.
Mais Wesley s’occupa des écrits de Toplady pour une autre raison encore. En effet, Toplady était un des rares calvinistes qui disait haut et fort qu’on ne puisse pas parler de l’élection sans évoquer son corollaire de la réprobation. Toplady compara les deux parties aux deux jambes. Ce qu’on dit sur l’une doit également être dit sur l’autre. Wesley y retrouva ce qu’il avait toujours postulé comme nécessité logique dans la conception de la prédestination. Il prit donc un ouvrage de Toplady et le publia en abrégé sous le titre « La doctrine de la prédestination absolue » et avec les initiales d’Auguste Toplady (The Doctrine of Absolute Predestination Stated and Asserted. By the Reverend Mr. A T , 1770). L’ouvrage de Toplady était basé sur celui de Zanchius (1516-90). Wesley voulut montrer la conséquence finale de tout calvinisme conséquent afin que tout lecteur juge par lui-même. Ainsi il prit au sérieux le but avoué de Toplady que la doctrine de la prédestination soit l’essence même de l’Evangile, englobe l’élection aussi bien que la réprobation et que ces doctrines doivent donc être annoncées. A la fin de cet abrégé, Wesley résuma l’argumentation de Toplady avec le paragraphe suivant qui était évidemment, mais non explicite de sa propre main :
« La somme de tout cela est : un sur vingt (supposons) de l’humanité est élu ; dix-neuf sur vingt sont réprouvés. Les élus seront sauvés ; ils peuvent faire ce qu’ils veulent ; les réprouvés seront damnés, même s’ils veulent faire ce qu’ils peuvent. Lecteur, croyez cela ou soyez damné. Ma signature sera témoin, A T . »
Bien sûr, Toplady n’avait pas goûté cette paraphrase et publia une défense de sa pensée dans une lettre à Wesley. Dans cette lettre, il attaqua Wesley personnellement et lui reprocha de ne chercher que son propre avantage et de ne pas être sérieux dans ses doctrines. Comme d’habitude, Wesley n’entra pas dans une dispute sur des attaques personnelles, mais uniquement sur la logique de la pensée de son opposant. Il publia alors un court traité (The Consequence Proved, 1770 (?)). Il y cita quelques passages de Toplady et insista que les conséquences logiques soient en accord avec son petit résumé en conclusion du premier traité. Il voulut montrer que tout déterminisme enlève la responsabilité de l’homme et évite la possibilité de le juger pour ses actes voire même de parler de péché. Wesley termina en lançant le défi envers tous ses lecteurs de lui montrer comment Dieu puisse juger le monde en justice sur la base d’une telle conception doctrinale.
D’autres méthodistes arminiens que Wesley continuèrent la controverse par traités interposés. Ce ne fut qu’en 1774 que Wesley reprit la plume en abordant la dimension philosophique de la question, c’est-à-dire la liberté humaine et la compréhension de « nécessité » et le déterminisme (Thoughts upon Necessity, 1774). Le traité commence avec la question « l’homme est-il un agent libre ? ». Tout au long de son traité, Wesley omit toute mention de noms de ses opposants afin d’éviter de nouvelles attaques personnelles. Wesley exprima sa conviction que « je ne peux pas croire que la créature la plus noble dans le monde visible ne soit qu’une fine pièce d’horlogerie ». Il argumenta avec l’amour de Dieu qui ne force pas l’homme et dit sur le mal :
« Mais le Dieu de tout pouvoir peut le guérir; et le Dieu d’amour le veut si nous choisissons qu’il devrait. Mais il ne veut nous forcer [en anglais : necessitate] d’être heureux autant peu qu’il permet à quoi que ce soit sous le soleil de nous mettre sous une nécessité d’être misérables. <...> le Dieu tout-puissant d’amour peut les [mes facultés humaines] contrôler toutes et veut (sauf si je choisis par obstination le vice et la misère) me procurer une telle aide qui, malgré les vices, me donnera le pouvoir d’être vertueux et heureux pour toujours. »
Wesley lui-même était convaincu d’avoir dit assez sur ce sujet et ne le reprit plus. D’autres méthodistes arminiens, entre autres de la Fléchère, s’y engagèrent. Celui-ci réfléchit dans deux traités sur les implications philosophiques du déterminisme calviniste. Cette controverse alla de pair avec l’attaque envers la branche wesleyenne du réveil que celle-ci favorise la justification par les œuvres. Cette controverse a été déclenchée par le procès-verbal de la conférence annuelle de Wesley et ses prédicateurs en 1770.
3.2 La controverse sur la prédestination et l’antinomisme des années septante
La grande controverse des années septante au sein du méthodisme est traditionnellement appelée la controverse calviniste. Cette appellation ne montre pas clairement les sujets en question qu’étaient la prédestination et l’antinomisme. Je n’énumérai pas tous les détails de la controverse, son déroulement, ses intervenants et ses résultats. Je me limiterai à une brève présentation des procès-verbaux des conférences annuelles de 1770 et 1771 ainsi qu’à deux ouvrages de Wesley avant d’aborder, dans un quatrième point, quelques aspects de la position théologique développée par de la Fléchère dans son soutien de la théologie wesleyenne.
Suite aux événements après l’expulsion des étudiants méthodistes calvinistes à Oxford et à l’échec de l’initiative prise par Wesley pour créer une union du réveil méthodiste sur la base des trois doctrines communes (péché originel, justification par la foi, sainteté du cœur et de la vie), des tendances plus radicales dans le méthodisme calviniste s’exprimaient en insistant sur l’importance capitale de la doctrine de la prédestination. En retour, les méthodistes wesleyens se souvenaient des disputes des années quarante et reprirent la remarque de 1744 « Nous avons trop penché vers le calvinisme » lors des discussions en 1770. Ils n’évoquaient plus que la différence d’avec le calvinisme ne soit que « la largeur d’un cheveu ». Maintenant, Ils voulaient analyser en quoi ils avaient trop penché vers le calvinisme. Un extrait du procès-verbal de la conférence annuelle de 1770 se trouve dans les sources primaires publiées sur ce site.
Le texte parle très ouvertement et positivement d’une synergie entre Dieu et l’homme et même de la notion de mérite pour les actes de l’homme de sorte que tout lecteur peut habitué à la compréhension wesleyenne devait forcément l’interpréter comme une justification par les œuvres. Le texte ne parle pas du tout de la grâce ni du rapport entre la grâce et la situation de l’homme après la chute. Il insiste sur la conditionalité du salut et de l’absence de toute notion d’un statut du salut. L’utilisation des termes ‘condition’ et ‘mérite’ était floue. Le procès-verbal ouvrit grandement la porte à toute sorte de malentendu malgré les citations bibliques qui accompagnaient les courtes explications. Dans un climat de tension et de méfiance entre les deux branches du réveil, le texte mit le feu aux poutres. Les méthodistes calvinistes qui avaient pu se procurer une copie du texte, y trouvèrent la confirmation de leur pires craintes.
Le seul prêtre anglican qui partageait la conviction wesleyenne et qui était en même temps amis des protagonistes calvinistes, fut Jean Guillaume de la Fléchère (en Angleterre, il changea son nom en ‘John William Fletcher’.). De la Fléchère entreprit d’interpréter ce texte sur l’arrière-fond de l’ensemble de la doctrine wesleyenne. Malgré lui, il fut tiré dans la controverse et commença à défendre théologiquement la position de Wesley. Avant d’esquisser sa conception, il faudrait ajouter que des méthodistes calvinistes voulaient soumettre une protestation officielle à la Conférence de 1771. Ils entrèrent en discussion avec Wesley et ses prédicateurs et finalement proposèrent une déclaration qui fut signée par les méthodistes wesleyens (cf. document parmi les sources primaires sur ce site). Wesley et ses prédicateurs (à l’exception d’un seul) y affirmèrent : « Et, comme les dites Actes ne sont pas rédigées en termes suffisamment pondérés, nous déclarons solennellement, dans la présence de Dieu, que nous n'avons ni espérance ni confiance que dans les seuls mérites de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ pour la justification ou pour le salut, soit dans la vie, la mort ou le jour du jugement. Et que, bien que nul ne soit un vrai croyant chrétien (et en conséquence ne puisse être sauvé) qui ne fasse pas de bonnes œuvres s'il en a le temps et l'occasion, toutefois nos œuvres ne servent en aucune mesure à mériter ou à acquérir notre justification, du commencement à la fin, soit en tout ou en partie. »
3.3 Derniers ouvrages isolés de Wesley évoquant la doctrine de la prédestination
Pendant et vers la fin de la grande controverse sur la prédestination et l’antinomisme, Wesley publiait quelques petits traités (p.ex. contre Hill) que je n’évoquerai pas. Deux autres ouvrages seront plus intéressants à mentionner. Ils n’étaient pas directement en rapport avec une publication calviniste spécifique. Il s’agit d’un sermon et d’un court traité sur la souveraineté de Dieu.
Wesley prêchait très peu sur la prédestination. Dans sa liste des textes bibliques en rapport avec ses sermons oraux, le sujet figure au maximum dans 1% de ses sermons. De même, peu de sermons publiés mentionnent le sujet et il n’y a que deux sermons qui y sont entièrement consacrés : le sermon sur la libre grâce de 1739 et un sermon sur la prédestination, publié en 1776 (sermon no. 58 ; cf. les extraits dans les sources primaires publiées sur ce site). Aucun des deux ne fait partie des sermons de référence qui introduisent la somme de la foi chrétienne.
Wesley prêchait sur ce même texte de l’épître aux Romains 8,29-30 tout au début du réveil, à la hauteur de la première controverse sur la prédestination (deux fois à Londres en avril 1741 et une fois à Bristol en mai, mais plus jamais après jusqu’en 1773 selon sa statistique de textes). Malgré ce qu’on pourrait penser en lisant la littérature secondaire (et peut-être aussi après la lecture de cet article), Wesley évoquait peu le sujet de la prédestination. Le sermon sur la prédestination fut prêché en Irlande, pas en Angleterre, en 1773. La publication en Angleterre n’intervint que plus tard, en 1776. Ceci montre que Wesley n’avait pas l’intention de jeter de l’huile dans le feu, au milieu de la controverse des années septante. Le sermon est en outre un exemple comment Wesley a essayé d’appliquer un esprit conciliant dans le traitement d’un sujet controversé. Comme le choix du texte annonce, Wesley y développe sa conception de la prédestination en se basant sur la prescience de Dieu. Ce fut une pensée classique dans la tradition influencée par l’arminianisme, mais à une différence près, si je le vois bien.
Wesley commence en évoquant les difficultés de compréhension de certains passages de l’apôtre Paul. Depuis des centaines d’années, les théologiens les plus doués se sont disputés sur la bonne compréhension de certains textes surtout dans l’épître aux Romains. Mais il est étonnant, poursuit Wesley, que cette difficulté ne rend pas les gens plus humbles et prudents. Au contraire, beaucoup parle avec plus de sûreté sur ces textes les plus difficiles : « Ceci peut particulièrement être observé parmi presque tous ceux qui confirment les décrets absolus. Mais il est certainement possible de l’éviter : tout ce que nous proposons peut être proposé avec modestie et avec respect envers ces hommes sages et bons qui sont d’une opinion contraire. » Il poursuit qu’il ne s’agit pas d’une « chaîne de causes et effets », mais que l’apôtre montre simplement la méthode par laquelle Dieu agit – l’ordre dans lequel les différentes branches du salut se suivent constamment. ». Puis il explique sa compréhension de la prescience de Dieu : « Nous ne parlons pas selon la nature des choses, mais selon la manière humaine. Parce que si nous parlons proprement, il n’existe pas de telle chose ni de ‘pré-connaissance’ ni d’ ‘après-connaissance’ en Dieu. Tout temps, ou plutôt toute éternité (parce que le temps est seulement le petit fragment de l’éternité qui est attribué aux enfants de l’homme) est présent pour lui à l’instant même. Il ne sait pas une chose avant l’autre ou une chose après l’autre, mais il voit toutes les choses dans un seul regard, d’éternité en éternité. Parce que tout temps avec tout ce qui existe là-dedans est présent pour lui à l’instant même, il voit à l’instant tout ce qui était, est ou sera jusqu’à la fin du temps. Mais regardez : nous ne devons pas croire que ces choses sont parce qu’il les connaît. Non ; il les connaît parce qu’elles sont. ».
Wesley explique le décret de Dieu avec un souci de sauvegarder la liberté et responsabilité de l’homme : « Dieu a décrété d’éternité en éternité que tous qui croient au Fils de son amour seront transformés à son image, seront sauvés de tout péché intérieur ou extérieur. <...> et ceci en vertu du décret inchangeable, irréversible et irrésistible de Dieu : ‘Celui qui croit sera sauvé ; celui qui ne croit pas sera damné.’ ».
Le décret est irrésistible et irréversible, mais il n’est pas inconditionnel. C’est là que réside toute la différence dans l’explication de Wesley en comparaison avec les calvinistes. Il faut ajouter qu’habituellement, Wesley ne parle pas de décret en rapport avec le texte de Marc 16,16. Il ne le fait que lorsqu’il utilise le langage de ces opposants calvinistes. Deuxième différence (également en comparaison avec l’arminianisme) : Il ne s’agit pas d’une chaîne de cause à effet, mais d’un ordre général selon lequel les choses se produisent selon la compréhension humaine du temps. Parce que le décret implique une condition et parce que la prescience de Dieu est simplement une constatation et n’est pas la cause d’un effet, il n’y a pas de chaîne déterminante. Wesley, au milieu du siècle des Lumières et influencé par lui veut défendre la raisonnabilité du christianisme. Il ne veut pas tomber dans une vision mécanique du monde et de la foi.
L’explication que Wesley donne dans ce sermon ne répond pas encore à toutes les questions de ses opposants calvinistes. Sur la base de ce seul sermon, il n’est pas évident comment Wesley veut éviter de tomber dans le piège d’un salut par les œuvres. L’accent du sermon est ailleurs : Wesley clarifie qu’il n’y a pas de chaîne de cause à effet. Cette manière de penser n’est pas adaptée à une bonne compréhension de la prescience de Dieu. Il souligne également que le décret de Dieu est conditionnel, lié à la réponse de la foi.
L’autre texte publié par Wesley vers la fin de la controverse des années septante, est un traité sur la souveraineté de Dieu : Thoughts Upon God’s Sovereignty, 1777 (cf. extrait dans les sources primaires publiées sur ce site). Il y parle à nouveau de la conditionnalité du salut. Il distingue les actes de Dieu en tant que Créateur et de Dieu en tant que Gouverneur. Les deux sont compatibles, mais différents. En tant que Créateur, Dieu agit en toute choses selon sa propre volonté suprême et souveraine. Dans le sens le plus absolu, Dieu fait ce qu’il veut. Ainsi chaque être humain reçoit sa place dans le monde, sa spécificité personnelle et ses facultés. Il n’y a pas de place pour en juger selon l’équité et la justice. Dieu est libre en ce qu’il fait en tant que Créateur, mais ces actes ne décident pas du salut de l’homme. Par contre, en tant que Gouverneur, Dieu agit selon des règles invariables de sa justice et de sa miséricorde. Il poursuit : « en quelques cas, la grâce triomphe sur la justice ; bien que la sévérité ne le fait jamais. Dieu peut récompenser plus, mais il ne peut jamais punir plus que ce que la justice stricte demande. On peut admettre que Dieu agit comme Souverain en convainquant quelques âmes de leur péchés ; en les arrêtant au milieu de leur carrière par son pouvoir irrésistible. Il semble également que, au moment de notre conversion, il agit de manière irrésistible. De même, il peut y avoir des approches irrésistibles tout au long du cheminement de notre course chrétienne ; <... mais> chaque individu peut après tout ce que Dieu a fait soit améliorer sa grâce ou ruiner ses effets. »
A la fin de la longue controverse sur la prédestination et l’antinomisme, Wesley fut convaincu qu’il lui faut un moyen pour enseigner régulièrement les membres de ses « Sociétés Unies » et donner un certain contre-poids aux périodiques calvinistes The Spiritual Magazine et The Gospel Magazine. A cet effet, il créa l’« Arminian Magazine » qui commença sa parution en 1778. Les premières deux années, une bonne partie du contenu était destinée à présenter l’arminianisme wesleyen. Mais à partir de la troisième année, le domaine « controverse » ne prit pas plus que 15% du volume. Ainsi Wesley accomplit sa promesse que ce nouveau périodique n’avait pas la controverse comme priorité
De la Fléchère fut tiré contre cœur dans la controverse théologique des années septante. Sa défense de la position wesleyenne et son explication des procès-verbaux de 1770 en les mettant dans le contexte plus large de la théologie de Wesley le propulsa sur l’avant-scène de la controverse des années septante. Théologiquement, il fut convaincu de l'importance de l'homme et de ses actes dans le cheminement avec Dieu. La controverse éclata sur la question de la relation entre la foi et les actes. Dès son premier traité ‘échec à l'antinomisme’, de la Fléchère fit référence à deux axiomes (cf. texte dans les sources primaires publiées sur ce site). Pour lui, ils sont à la base de la théologie wesleyenne : « Comme conséquence de la doctrine de la rédemption générale, Monsieur Wesley pose deux axiomes qu'il ne perd jamais de vue dans sa prédication. Le premier en est que TOUT NOTRE SALUT EST DE DIEU EN CHRIST et par conséquent, PAR GRACE ; … deuxièmement, et avec autant de résolution que, selon la dispensation de l'Evangile, TOUTE NOTRE DAMNATION EST DE NOUS-MEMES ; »
Seuls les deux axiomes permettent l'équilibre du message biblique. Toute prédication de l'Evangile doit tenir compte des deux. Ceux-ci peuvent également se présenter sous l'aspect de la libre grâce pour le premier et de la libre volonté pour le deuxième axiome, ce qui montre leur opposition, en tout cas en apparence. A travers cette tension, de la Fléchère essaya de montrer les particularités de la théologie wesleyenne en comparaison avec la théologie méthodiste calviniste. Les deux axiomes semblent exprimer des oppositions. Mais de la Fléchère insista sur leur complémentarité de sorte que l’un n’exclut pas l’autre.
Au début de la controverse, de la Fléchère dit qu’on ne peut pas, en prenant l’origine du salut pour départ de la réflexion théologique, descendre plus bas que jusqu’à la volonté de l’homme ; et qu’on ne peut pas, en prenant l’origine de la perdition pour départ, monter plus haut que jusqu’à la volonté de l’homme. L’approche du sujet est alors primordialement anthropocentrique. En avançant dans la controverse, de la Fléchère argumenta de plus en plus à partir d'une perspective de l'œuvre de Dieu, théo-logique dans le sens stricte du terme. De la Fléchère expliqua alors le deuxième axiome comme enraciné dans la justice divine au lieu de le développer à partir de la volonté libre de l'homme. La volonté libre de l’homme n’est pas une notion naturelle. La volonté libre du début de la création a été perdue par la chute. Mais, par l’œuvre initiale de la grâce divine en tous, la liberté a été renouvelée en l’homme. La justice divine qui juge les croyants et les non-croyants doit être accepté comme juste et équitable par tout le monde parce que tout le monde a eu une chance de donner une réponse positive à l'amour de Dieu. Les deux axiomes qui semblent opposés d’un point de vue humain (libre grâce - libre volonté) trouvent leur complémentarité en Dieu (grâce divine - justice divine) et sont, d’une manière précise, en interaction l’un avec l’autre. De la Fléchère développa sa compréhension dans ses traités tardifs dans la controverse (cf. le texte dans les sources primaires publiés sur ce site).
Ainsi, il dit : « Notre premier talent ou degré de salut vient uniquement de la libre grâce de Dieu en Christ, sans aucune œuvre ou acte de nous-même; et notre salut éternel est premièrement, capitalement et finalement par la libre grâce de Dieu en Christ, à travers notre non négligence du premier talent ou degré de salut - Je dis par notre non négligence etc. afin d'assurer la connexion avec le deuxième axiome de l'Evangile et de laisser la place scripturaire aux doctrines de la justice rémunératrice. / Le deuxième axiome de l'Evangile soutient les doctrines de la justice et extirpe la doctrine d'une colère libre. Il s'agit de la proposition suivante que, je crois, aucun chrétien biblique et sincère ne veut nier. Notre damnation éternelle est premièrement et principalement par notre volonté libre, personnelle à nous-même, à travers notre négligence obstinée et finale du premier talent ou degré de salut. »
De la Fléchère développa sa théologie sur la base des écrits de John et Charles Wesley et en dialogue avec les opposants calvinistes. Ses traités furent édités sous la supervision de Charles Wesley, son meilleur ami, et vivement recommandés par John Wesley. De la Fléchère précisa deux points, souvent attaqués par les calvinistes - et il dit ouvertement avoir profité de leurs arguments pour clarifier la pensée wesleyenne : 1) la compréhension et le fondement théologique de la grâce prévenante ; 2) la compréhension de l’élection et de la réprobation.
Premièrement, concernant la compréhension et le fondement théologique de la grâce prévenante, Wesley souligna sans cesse que le décret de Dieu sur le salut est conditionnel, lié à la réponse de foi de l’homme. Il insista également que l’homme peut résister à la grâce.
Les calvinistes posaient donc la question comment il veut éviter de tomber finalement dans une justification par les œuvres, c’est-à-dire plus précisément par la foi en tant qu’œuvre humaine. Si l’homme peut résister à la grâce, s’il doit donner une réponse à l’invitation de l’Evangile, cette réponse revêt le caractère d’un acte humain. C’est alors l’homme qui, par son acte, décide du salut. La foi devient une œuvre de l’homme (la plus noble certes, mais tout de même une œuvre humaine). Et en poursuivant, les calvinistes disaient que Wesley ne prenne pas assez au sérieux la radicalité du péché originel. Si l’homme, par la chute, est entièrement pécheur et séparé de Dieu, il ne peut plus faire le bien. Il n’a plus le choix. Et si Wesley, disaient les calvinistes, accorde à l’homme la possibilité du choix, il n’enseigne plus le péché originel, mais seulement une dépravation relative.
Dans le dialogue avec les calvinistes, de la Fléchère accepta l’argument de ses opposents qu’on ne peut enseigner la chute de l’homme, sa totale rupture avec Dieu et la justification par pure grâce sans parler d’une grâce irrésistible qui touche l’homme malgré lui et sans que l’homme puisse faire une quelconque œuvre. Dans sa réflexion sur la chute de l’homme et les conséquences de la chute, de la Fléchère voulait appliquer les deux axiomes ci-dessus. Il décrit donc toutes les conséquences radicales de la chute pour Adam et Eve. Ils perdent la faveur et l’image de Dieu. Ils perdent la connaissance de et l’amour envers Dieu. Le péché n’a pas son origine en Dieu. On ne peut même pas dire que Dieu a permis le péché. Il l’a interdit et mis sous punition. Mais l’homme a transgressé la bonne loi divine. Il s’est révolté et voulait être comme Dieu ; cette radicalité de la révolte dépasse les seules catégories morales de désobéissance. Dieu n’a pas empêché l’homme à commettre cette révolte parce qu’il voulait que l’homme reste un être libre et responsable de ses actes. Mais la transgression a eu des conséquences sur l’ensemble de la Création, pas seulement sur l’homme. La souffrance de toute créature ainsi que la mort sont la punition que Dieu applique. En Adam, en sa semence, est contenue toute l’humanité. Toute l’humanité est impliquée en ce qui se passe avec Adam.
Alors intervient le salut initial (de la Fléchère l’appela en anglais : initial salvation). Si Dieu ne s’était montré miséricordieux, toute l’humanité serait morte en la semence d’Adam. Comme le péché, de même la punition aurait touché tous, sans connaissance personnelle et sans décision personnelle. La punition aurait été juste, pour Adam comme pour toute l’humanité. Mais Dieu a décidé le rétablissement de l’homme par Jésus Christ comme Sauveur (de la Fléchère peut alors parler d’un décret de Dieu). Comme la condamnation est venue sur tous les hommes par la faute d’un seul, Adam, de même la justification est venue par la justice d’un seul, Christ. Tous les hommes ont reçu cette bénédiction parce qu’ils étaient contenus dans la semence d’Adam. La grâce en Christ excède la malédiction sur Adam parce que la nouvelle position de l’homme sous l’Evangile est bien meilleure que celle d’Adam dans le paradis. Elle connaît le pardon et la repentance. Ce salut initial est une œuvre irrésistible de la grâce. Il touche tous. Il y a donc une justification inconditionnelle des bébés. Le baptême des enfants en est signe et expression. Quatre éléments sont caractéristiques pour ce salut initial : cette grâce initiale est liée à l’œuvre salvatrice du Christ ; elle est donné à tous les hommes ; elle est une grâce qui sauve ; elle agit sans acte humain, irrésistiblement. (La tradition réformée peut parfois aussi parler d’un proto-évangile, mais en limitant les conséquences à une grâce du Créateur de maintenir l’homme en vie).
La doctrine développée par de la Fléchère a des conséquences vastes, mais ne mène pas forcément au salut de tous. La première conséquence en est le rétablissement d’une volonté libre dans l’homme qui sera alors une volonté libérée. Dieu restore en l’homme la capacité de choisir le bien, de répondre à l’Evangile. Ainsi, lorsque de la Fléchère parle de la volonté libre de l’homme, il s’agit toujours de la volonté libérée par la grâce initiale et irrésistible. La volonté libre de l’homme n’est plus fondée dans l’acte de Dieu le Créateur (comme chez Adam), mais dans l’acte de Dieu en tant que Sauveur. Une différence fondamentale sépare donc Adam et l’homme après la chute et le salut initial. Cette volonté libérée de l’homme ne dérobe pas la gloire de Dieu et ne peut pas mener l’homme à se vanter de ces facultés, parce qu’elle est l’effet de la grâce divine. Si l’homme dans sa libre volonté pense ne pas avoir besoin de la grâce, il méconnaît sa propre situation.
Parce que Dieu veut maintenir l’homme dans sa situation libre et responsable, il ne peut pas continuer à agir par une grâce irrésistible. Il ne veut pas forcer l’homme. Si le « succès » de la parole divine dépendait uniquement de Dieu, la vérité mènerait toujours au salut. Mais l’homme peut résister. Et l’homme a toujours à nouveau la tendance de se révolter contre Dieu, de vouloir être Dieu. L’homme retombe dans le péché, consciemment cette fois. De la Fléchère, tout comme Wesley, souligna qu’il n’y a aucune personne qui, dans sa vie, ne retombe pas dans le péché et ainsi retombe sous la condamnation (mais sa situation est différente de celle d’Adam). Il faut donc convaincre les gens de leurs péchés, les appeler à la repentance et à la foi en Christ et les amener à vivre une vie sanctifiée.
Deuxièmement, concernant la compréhension de l’élection et de la réprobation, Wesley souligna que toute évocation d’une élection doit inévitablement mener à parler de son corollaire, la réprobation. En général, Wesley ne parla que d’une élection ou réprobation conditionnelle, en accord avec la justice de Dieu. A de rares occasions, Wesley distingua entre l’œuvre de Dieu le Créateur et de Dieu le Gouverneur. Uniquement la première agit par une élection inconditionnelle.
Les calvinistes posèrent donc la question pourquoi Dieu dans sa grâce ne pourrait pas élire qui il veut. Ils ne pouvaient pas contester l’argument de Wesley que la justice doit agir envers toute personne de manière équitable et sans différence, sans acception de personne. Mais pourquoi la grâce ne serait-elle pas libre de choisir qui elle veut ? Il n’y a pas d’obligation de sorte que Dieu doit la grâce à une personne ou qu’une personne pourrait faire valoir un droit à la recevoir. Dieu est tout à fait libre dans l’attribution de la grâce.
Cet argument amena de la Fléchère à reconsidérer les textes bibliques et leur manière de parler de l’élection et de la réprobation. Il fut convaincu du poids de l’interpellation de ses amis calvinistes, mais il voulut en même temps sauvegarder les deux axiomes. Comme les deux axiomes sont ancrés dans la grâce et dans la justice de Dieu, de la Fléchère distingua également l’élection (et son corollaire la réprobation) selon ces deux attributs de Dieu. Il n’argumenta pas comme Wesley avec la distinction entre Dieu en tant que Créateur et Dieu en tant que Gouverneur. Il distingua entre la grâce et la justice de Dieu – une distinction qu’on trouve chez Wesley dans le développement de son argumentation. Les deux attributs de Dieu sont essentiels au salut de l’homme. Il s’agit donc d’une démarche dans le cadre de la sotériologie. Tous les attributs de Dieu doivent être compris d’une manière que l’un ne contredit pas à l’autre. La sagesse et la justice de Dieu sont soucieuses de la capacité de l’homme d’agir librement et ne peuvent pas être abrogées en parlant du Dieu tout-puissant. Dieu est un. Ses attributs doivent être compris de façons complémentaires et non contradictoires. Ceci est particulièrement important concernant la justice et la grâce de Dieu. De la Fléchère écrivit alors tout un traité en juxtaposant des centaines de textes bibliques (le traité sur les ‘Scripture Scales’, la « balance des Ecritures »). En deux colonnes, il présenta des citations bibliques qui soulignent d’un côté la justice de Dieu et la liberté de l’homme et de l’autre côté la grâce de Dieu et l’incapacité de l’homme de mériter quoi que ce soit face à Dieu. De la Fléchère en conclua qu’il peut y avoir une grâce libre, souveraine et distinctive (dans le sens que Dieu distingue librement à qui elle est allouée) compatible avec la bonté de Dieu, mais qu’il ne peut pas y avoir une colère libre, souveraine et distinctive. Celle-ci serait incompatible avec un Dieu juste. Comment résoudre cette tension ?
De la Fléchère ne prit pas refuge à l’argument de la prescience de Dieu comme la tradition arminienne le faisait d’habitude. En cela, il fut d’accord avec les calvinistes, car une telle approche ne résout pas le problème. Elle soumettrait la grâce à la prescience et ainsi, la grâce ne serait plus un don entièrement libre de toute condition humaine. De la Fléchère choisit une autre approche liée à l’ensemble de sa conception de l’œuvre salutaire de Dieu. Contraire à la tradition augustino-calviniste, l’élection n’est pas un acte de Dieu qui décide du salut éternel de l’homme d’une manière absolue et inconditionnelle. L’élection - et la réprobation y liée - doivent être comprises en vue de la situation de l’homme à la suite du salut initial. Il s’agit de l’histoire divine du salut et cela avec l’homme initialement libéré par un premier acte de grâce. Dans le cadre de l’histoire divine du salut, il y a, selon de la Fléchère, une double élection et réprobation :
D’un côté, il y a une élection ou réprobation issues de la grâce de Dieu selon lesquelles une mesure plus grande ou plus petite de cette grâce nous est donnée. L’exemple biblique en est la parabole des talents : l’un reçoit un talent, l’autre deux, l’autre cinq. Il s’agit de l’élection de la grâce souveraine de Dieu qui attribue de manière partiale et inconditionnelle. Dieu ne doit rien à l’homme. Il distribue librement. Mais ceux qui reçoivent moins ne sont pour autant pas exclus du salut - à la différence de la conception calviniste. La réprobation qui serait alors la non attribution de cette élection, laisse l’homme à un niveau plus bas dans l’histoire du salut. Cette élection et réprobation peuvent s’étendre à des groupes sociaux entiers (nations, peuples, villes ou familles) autant que des individus. De cette manière, Abel a été préféré à Caïn, mais celui-ci se révolte, laisse entrer le péché qui attend devant sa porte et commet un meurtre. Jacob a été préféré à Esaü sans que Esaü soit forcément exclu du salut. De cette manière le peuple d’Israël a été préféré à tout autre peuple de la terre entière. De cette manière la révélation en Christ excède toute révélation antérieure de la grâce divine. Ainsi de la Fléchère réinterpréta les textes-clés de la conception calviniste de la prédestination. Il donna également une clé de compréhension pour les allusions à une grâce irrésistible que Wesley faisait de temps à autre.
De l’autre côté, il y a une élection ou réprobation selon la justice rémunératrice de Dieu. Cette élection et réprobation de Dieu sont impartiales et conditionnelles. Elles sont conditionnelles parce qu’elles sont liées à l’obéissance de l’homme. Elles se basent sur le salut initial, c’est-à-dire la libération de la volonté de l’homme pour répondre à l’offre de Dieu. A la suite de ce talent de grâce attribué à chacun, Dieu peut exiger de chaque être humain de faire fructifier son talent qu’il soit petit ou grand. Celui qui a reçu peu, peu lui sera demander. A celui qui a reçu beaucoup, beaucoup lui sera demandé. Si quelqu’un résiste, se révolte et se renferme en soi-même, Dieu peut le juger avec justice. De la Fléchère expliqua cette deuxième œuvre divine d’élection et de réprobation surtout dans le cadre de sa doctrine du Jugement dernier. La justice rémunératrice de Dieu n’est pas seulement présentée d’un côté négatif, de la condamnation ou réprobation. Cette justice rémunératrice comprends également un côté positif, une œuvre d’élection : Dieu dans sa grâce rétribue l’obéissance de l’homme. A vrai dire, l’homme obéissant est doublement gracié. Il a reçu une première mesure de grâce et le bon fruit que cette grâce a produit en lui sera encore une fois récompensé par la grâce. Ainsi la grâce abonde. L’œuvre salutaire du Christ excède en bonté la perte occasionnée par la chute d’Adam.
Par ces deux précisions doctrinales, de la Fléchère respecta les axiomes et dépassa un débat entre méthodistes calvinistes et méthodistes arminiens qui devint stérile. John Wesley, de sa part se réjouit des traités de son fidèle défenseur. Il les recommanda vivement à ses prédicateurs. Si on ne trouve aucun traité de Wesley sur la question de la prédestination après le milieu des années septante et très peu d’allusions à ce sujet, il faut l’interpréter, à mon avis, comme signe d’un profond accord de Wesley avec les publications de son ami de la Fléchère. Ainsi Wesley apporta une correction dans une annotation lorsqu’il réédita son journal dans les années septante et y utilisa la terminologie de son ami. Dans un sermon tardif, il mentionna les dispensations de Dieu dans l’histoire, selon les traités de son ami. Wesley ne ressenta plus la nécessité de s’exprimer lui-même sur le sujet. De la Fléchère l’avait fait de manière étendue, bien documentée et avec beaucoup d’exemples et d’images illustratives. Avec ses « Checks to Antinomianism », de la Fléchère devint le théologien de l’arminianisme wesleyen.
Patrick Ph. Streiff