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Edition numérique © Yves Petrakian, Juillet 2003
« C'est ici le nom dont on l'appellera : L'Eternel notre justice. » (Je 23:6)
Combien de querelles, et quelles épouvantables querelles, il y a eu ici-bas à propos de religion ! Et Cela non pas seulement parmi les enfants du monde, parmi ceux qui ignorent ce qu'est la vraie religion, mais encore parmi les enfants de Dieu eux-mêmes, parmi ceux qui ont éprouvé que «le règne de Dieu est au-dedans de nous (Lu 17:21),» qui ont connu «la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit (Ro 14:17).» Combien d'entre ces derniers, et dans tous les siècles, au lieu de s'unir contre l'ennemi commun, ont tourné leurs armes les uns contre les autres, et ainsi non seulement gaspillé un temps précieux, mais encore affaibli les bras de leurs frères, et, de cette façon, entravé l'oeuvre si importante de leur commun Maître ! Que de fois les faibles ont été scandalisés par cette conduite, les impotents spirituels égarés, les pécheurs encouragés à ne tenir aucun compte de la religion et à mépriser ceux qui en font profession ! Et que de fois «les saints qui sont sur la terre ; (Ps 16:3)» ont dû «pleurer en secret (Je 13:17);» sur cet état de choses !
Quiconque aime Dieu et le prochain donnerait tout au monde, souffrirait quoi que ce soit, pour apporter remède à ce grand mal, pour arrêter les disputes entre enfants de Dieu, pour rétablir et maintenir entre eux la paix. En vue de résultats si désirables, il pourrait tout sacrifier, sauf la possession d'une bonne conscience. Mais s'il ne nous est pas possible à cet égard de «faire cesser les guerres jusqu'au bout de la terre (Ps 46:10),» si nous ne pouvons pas rapprocher les uns des autres tous les enfants de Dieu, que du moins chacun de nous fasse ce qu'il pourra ; qu'il contribue, ne fût-ce que ses deux pites, à cette oeuvre excellente. Bienheureux ceux qui aident tant soit peu à faire régner «paix et bienveillance parmi les hommes (Lu 2:14),» et surtout parmi les hommes de bien, parmi ceux qui sont enrôlés sous le drapeau du «Prince de la paix» (Esa 9:5), et conséquemment tenus d'avoir, «autant qu'il dépend d'eux, la paix avec tous les hommes (Ro 12:18).»
On se serait considérablement rapproché du but, si l'on pouvait amener les gens de bien à s'entendre. Nombre de querelles viennent de simples malentendus. Il arrive souvent que ni l'une ni l'autre des parties ne comprend la pensée de ceux avec lesquels elle est en désaccord ; et il en résulte qu'elles s'attaquent violemment, lorsqu'il n'y a entre elles aucun motif sérieux de division. Mais il n'est pas toujours facile d'en convaincre les personnes intéressées, surtout si la passion s'en mêle ; c'est alors chose bien malaisée, et pourtant pas impossible, pourvu que nous l'entreprenions en nous confiant, non point en nous- mêmes, mais en celui à qui tout est possible. C'est lui qui peut promptement dissiper les nuages, répandre la lumière dans les coeurs et les rendre capables de se comprendre et de comprendre «la vérité qui est en Jésus (Eph 4:21).»
Les paroles de notre texte expriment un des points les plus importants de cette vérité : «C'est ici le nom dont ou l'appellera : L'Eternel notre justice.» Voilà, en effet, une vérité qui fait partie de l'essence même du christianisme qui en soutient tout l'échafaudage. On peut, à coup sûr, dire d'elle ce que Luther disait d'un autre article de foi qui se rattache étroitement à celui-ci, que c'est «articulus stantis vel cadentis ecclesiae», une doctrine avec laquelle l'Eglise se tient debout ou tombe. C'est bien certainement la colonne et la base de cette foi qui seule procure le salut, de cette foi catholique ou universelle, qu'on trouve chez tous les enfants de Dieu et que nous devons conserver «pure et sans tache» (Jas 1:27), si nous ne voulons pas périr éternellement.
Ne semblerait-il pas naturel et raisonnable que tous ceux qui invoquent le nom de Christ fussent d'accord sur ce point, quelles que soient leurs différences de vues à d'autres égards? Hélas ! qu'il est loin d'en être ainsi ! Il n'y a presque pas de question sur laquelle ils s'entendent moins, sur laquelle ceux qui professent de suivre Jésus-Christ paraissent aussi absolument éloignés et incapables de s'entendre. Je dis paraissent ; car je suis convaincu que, dans bien des cas, leurs divergences ne sont qu'apparentes. Entre eux il y a plutôt différence de mots que de sentiments; ils sont plus rapprochés par la pensée que par le langage. Mais il y a positivement une énorme différence de langage, non seulement entre protestants et catholiques romains, mais entre protestants et protestants, voire même entre ceux qui professent de croire également à la justification par la foi, et qui sont, du même avis sur toutes les autres doctrines fondamentales de l'Evangile.
Si les chrétiens sont séparés ici plutôt par leurs opinions que par leurs expériences, plutôt même par les expressions qu'ils emploient que par les opinions qu'ils ont, comment se fait-il que les enfants de Dieu se disputent aussi violemment sur cette question ? On peut expliquer leur conduite par diverses raisons. La principale, c'est qu'ils ne se comprennent pas réciproquement ; ajoutez à cela qu'ils tiennent trop exclusivement à leur opinion et à leur façon particulière de l'exprimer.
Pour écarter, en quelque mesure du moins, ces obstacles et pour arriver à nous entendre sur ce point, je veux essayer, avec l'aide du Seigneur, de montrer d'abord ce qu'est la justice de Christ ; et ensuite à quel moment et dans quel sens elle nous est imputée ; puis je me propose de conclure par une application brève et directe.
I
Qu'est-ce que la justice de Christ? Elle est double il y a sa justice divine et sa justice humaine.
Sa justice divine fait partie de sa nature divine, en tant qu'il est «celui qui existe» (Apo 1:4), celui «qui est Dieu au-dessus de toutes choses, béni éternellement (Ro 9:5),» l'Etre suprême, éternel, qui est «égal au Père, quant à sa divinité, bien qu'inférieur à lui par son humanité (Symbole de saint Athanase).» Cette justice divine de Jésus-Christ consiste donc dans sa sainteté éternelle, essentielle, immuable, dans son équité, sa miséricorde et sa vérité qui sont infinies, tous attributs dans lesquels le Père et lui sont un.
Mais, à mon sens, il n'est pas directement question ici de la justice divine de Christ. Personne, peut-être, ne voudrait soutenir que cette justice-là nous est imputée. Tous ceux qui croient à la doctrine de l'imputation, appliquent ce terme exclusivement, ou tout au moins principalement, à la justice humaine de Jésus.
La justice humaine de Jésus appartient, à sa nature humaine, en tant qu'il est le «seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ. homme (1Ti 2:5)» Elle peut se diviser en justice intérieure et justice extérieure. Sa justice intérieure était l'image de Dieu empreinte sur toutes les facultés, sur tous les attributs de son âme. C'était la reproduction de la justice divine, autant qu'elle peut se communiquer à une âme humaine. C'était une fidèle image de la pureté de Dieu, de son équité, de sa vérité, de sa miséricorde. En Jésus cette justice embrassait aussi l'amour, le respect, la soumission vis-à-vis de son Père, l'humilité, la débonnaireté, la douceur, l'amour pour le genre humain perdu; enfin, tous les sentiments qui sont saints et célestes; et chacun de ces sentiments il le possédait dans sa plénitude, sans mélange de défauts ou d'impuretés.
Ce fut la moindre partie de sa justice extérieure qu'il ne fit rien de mal, qu'il ne commit aucun péché dans sa conduite, qu' «il ne s'est point trouvé de fraude dans sa bouche» (Esa 53:9 1Pi 2:22), qu'il n'a jamais prononcé une parole répréhensible, jamais accompli un acte répréhensible. Tout cela ne constitue qu'une justice négative, mais telle pourtant que jamais elle n'a été, jamais elle ne peut être le partage d'un autre homme né de femme. Mais la justice extérieure de Jésus fut elle-même positive ; car «il a bien fait toutes choses (Mr 7:37) ;» toutes les fois qu'il parla, toutes les fois qu'il agit, ce fut pour faire exactement «la volonté de Celui qui l'avait envoyé (Jea 4:34).»
Pendant tout le cours de sa vie, il fit, la volonté de Dieu sur la terre comme les anges la font dans le ciel. Chacun de ses actes et chacune de ses paroles étaient toujours ce qu'il fallait qu'ils fussent. Son obéissance fut complète et dans l'ensemble et dans les détails : il accomplit «tout ce qui est juste (Mat 3:15).»
Mais cette obéissance comportait bien plus que tout cela. Elle consista pour lui, non seulement à agir; mais aussi à souffrir, à souffrir toute la volonté de Dieu, depuis le jour où il entra dans le monde jusqu'à celui où il «a porté nos péchés en son corps sur le bois (1Pi 2:24),» et où, les avant pleinement expiés, «il baissa la tête et rendit l'esprit. (Jea 19:30).» On désigne habituellement cette portion de la justice de Christ sous le titre de justice passive, et le reste sous celui de justice active. Mais puisque, en réalité, l'une n'a jamais été séparée de l'autre, il est inutile que, soit en en parlant, soit en y pensant, nous fassions cette distinction. C'est en embrassant ce double aspect de la justice de Christ qu'il est, appelé «l'Eternel notre justice.»
II
Mais à quel moment pouvons-nous dire en toute vérité : «l'Eternel notre justice ?» En d'autres termes, quand est-ce que la justice de Christ nous est imputée, et dans quel sens l'est-elle ?
En passant le monde en revue, on découvre que les hommes sont tous ou croyants ou incrédules. Les gens raisonnables ne contesteront point la vérité de cette première assertion, que la justice de Christ est imputée à tous les croyants, mais qu'elle ne l'est pas aux incrédules.
Mais quand est-elle imputée aux croyants ? Evidemment dès qu'ils croient ; dès ce moment la justice de Christ leur appartient. Elle est imputée à quiconque croit et dès qu'il croit; la foi et la justice de Christ sont inséparables ; car si on croit selon la parole de Dieu, on croit à la justice de Christ. Il n'y a de vraie foi, de foi justifiante, que celle qui a la justice de Christ pour objet.
Il est vrai que tous les croyants pourront bien ne pas s'exprimer de la même façon, ne pas parler un même langage. Il ne faut pas s'y attendre, et il ne serait pas raisonnable de l'exiger. Mille raisons peuvent les amener à employer des expressions différentes -- mais cette diversité d'expressions n'est pas nécessairement le fruit d'une différence dans les sentiments. La même pensée, exprimée par plusieurs individus, le sera dans des termes différents par chacun d'eux. Il n'y a rien de plus ordinaire que cela ; mais on n'en tient pas suffisamment compte. Une même personne, parlant du même sujet à deux époques un peu éloignées, aurait bien de la peine à retrouver les mêmes expressions, bien que ses sentiments n'aient pas changé. Pourquoi donc voudrions-nous exiger que les autres se servissent exactement des mêmes termes que nous?
Faisons encore un pas. Les autres hommes peuvent avoir non seulement un langage différent du nôtre, mais même des opinions différentes, et cependant «avoir eu en partage avec nous ; une foi de même prix (2Pi 1:1)» Il peut se faire qu'ils ne discernent pas exactement, la grâce dont ils jouissent ; leurs idées peuvent être moins claires que les nôtres, sans que leurs expériences religieuses soient moins réelles. On trouve de grandes inégalités parmi les hommes au point de vue des qualités morales, et surtout des facultés intellectuelles ; ces inégalités naturelles sont encore accrues par les différentes méthodes d'éducation. De fait, cela seul amène des différences d'opinion presque incroyables sur divers sujets; et pourquoi pas sur celui-ci tout comme sur les autres? Mais, bien qu'il y ait, de la confusion et de l'inexactitude dans les idées et dans le langage de certains hommes, il est très possible que leur coeur soit attaché à Dieu en son Fils bien-aimé et qu'ils aient vraiment part à sa justice.
Ayons donc pour les autres toute l'indulgence que nous voudrions que l'on eût pour nous si nous étions à leur place. Qui donc ne sait (pour revenir encore à une des choses que nous avons dites), qui ne sait quelle est la, grandeur de l'influence de l'éducation ? Et qui oserait, connaissant cela, s'attendre à ce qu'un catholique romain pensât ou parlât avec clarté sur ce sujet? Et pourtant, si nous avions pu entendre Bellarmin lui-même, mourant, répondre à ceux qui lui demandaient lequel des saints il voulait, implorer : «Fidere meritis Christi tutissimum ; le plus sûr est de se confier dans les mérites de Christ ;» aurions-nous osé affirmer que ses vues erronées l'empêchaient d'avoir part à la justice de Christ ?
Mais dans quel sens cette justice est-elle imputée aux croyants? Dans ce sens que tous ceux qui croient sont pardonnés et reçus par Dieu, non point à cause de quelque mérite qui est en eux ou de quelque chose qu'ils ont faite, qu'ils font ou qu'ils pourront faire; mais entièrement et uniquement pour l'amour de ce que Jésus-Christ a fait et a souffert pour eux. Je le répète: ce n'est pas à cause de quelque chose qui est en eux ou qu'ils ont faite, à cause de leur justice ou de leurs œuvres. «Il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde (Tit 3:4,5).» -- «Vous êtes sauvés par grâce, par la foi ; ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie (Eph 2:8,9).» Nous sommes sauvés uniquement pour l'amour de ce que Christ a fait et a souffert pour nous. Nous sommes «justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ (Ro 3:23).» C'est par là que nous obtenons la faveur de Dieu, et c'est par là aussi que nous la conservons. C'est de cette façon que nous nous approchons d'abord de Dieu, et c'est de la même façon que nous continuons à le faire toute notre vie. C'est dans un seul et même «chemin nouveau et vivant» (Heb 10:20) que nous marchons, jusqu'au jour où notre esprit retourne à Dieu qui l'a donné.
Telle est la doctrine que j'ai constamment crue et enseignée depuis près de vingt-huit ans. Je l'annonçai à tout le monde en l'année 1738, et je l'ai fait de nouveau dix ou douze fois depuis cette époque, en employant les termes suivants (ou d'autres qui reviennent au même), tirés du recueil des Homélies de notre Eglise (L'Eglise anglicane) : «Ces choses doivent nécessairement se rencontrer dans notre justification : du côté de Dieu, sa grande miséricorde et sa grande grâce; du côté de Jésus, la satisfaction donnée par lui à la justice divine ; de notre coté enfin, la foi aux mérites de Christ. De telle sorte que, dans notre justification, la grâce de Dieu n'exclut pas la justice de Dieu, mais seulement celle de l'homme, comme cause méritoire de notre justification.» - «Il est dit que nous sommes justifiés seulement par la foi, afin d'exclure tout mérite provenant de nos oeuvres et d'attribuer à Jésus-Christ seul tout le mérite de notre justification. Noire justification découle gratuitement de la pure miséricorde de Dieu. Car, lorsque le monde entier n'eût pu fournir la moindre portion de notre rançon, il lui a plu, sans que nous l'eussions en rien mérité, de nous préparer le corps et le sang de Christ qui ont payé notre rançon et apaisé sa justice. Jésus-Christ est donc maintenant, la justice de tous ceux qui croient véritablement en lui.»
Les cantiques que je publiai un an ou deux plus tard, et qui depuis lors ont été réimprimés plusieurs fois (ce qui montre clairement que mes sentiments n'ont pas changé), ces cantiques tiennent le même langage. Si je voulais en citer tous les passages qui se rapportent à ce sujet, il me faudrait transcrire ici une grande partie de ce recueil. Il suffira d'en prendre pour échantillon un qui a été réimprimé il y a sept, ans, puis il y a cinq ans, de nouveau il y a deux ans, et enfin il y a quelques mois
De mon âme, ô Jésus, la robe sans défaut
Et la beauté, ce sont ton sang et ta justice.
Si j'en suis revêtu, ce terrestre édifice
Peut s'embrasser; joyeux mon coeur regarde en haut 1
Le cantique tout entier, du commencement à la fin, exprime les mêmes sentiments.
Dans le sermon sur la justification que je publiai d'abord il y a dix-neuf ans, puis de nouveau il y a sept ou huit ans, j'exprime les mêmes pensées dans les termes suivants :
«En considération de ce que le Fils de Dieu «a souffert la mort pour tous (Heb 2:9),» Dieu a «réconcilié le monde avec soi, en ne leur imputant point leurs péchés (2Co 5:19).» Ainsi, pour l'amour de son Fils bien-aimé et de ce qu'il a fait et a souffert pour nous, Dieu s'engage (en y mettant une seule condition, que lui-même nous aide à remplir), à nous affranchir du châtiment mérité par nos péchés, à nous faire rentrer dans sa faveur, et à rendre à nos âmes mortes la vie spirituelle, prémices de la vie éternelle.»
Ces sentiments sont exprimés d'une manière plus étendue et plus détaillée dans le traité sur la justification que je fis paraître l'an dernier ; «Si, par cette expression : Imputer la justice de Christ, nous voulons dire communiquer celle justice (y compris son obéissance, tant active que passive), dans les fruits qu'elle a produits dans les privilèges, grâces et bénédictions qu'elle nous procure, on peut dire, dans ce sens, que le croyant est justifié par l'imputation de la justice de Christ. La signification de ces mots sera donc que Dieu justifie le croyant pour l'amour de la justice de Christ, et non à cause d'une justice qui lui serait propre. De même Calvin a dit (Institution, liv. 2, ch 17) : «Christ, par son obéissance, nous a procuré et mérité la grâce et la faveur de Dieu le Père.» Et plus loin : «Christ, par son obéissance, nous a acquis et procuré la justice.» Et encore : «Toutes ces expressions, que nous sommes justifiés par la grâce de Dieu, que Christ est notre justice, que la justice nous a été procurée par la mort et la résurrection de Christ, disent la même chose, savoir que la justice de Christ, tant active que passive, est la cause méritoire de notre justification et nous a obtenu cette grâce de Dieu que, dès que nous croyons, nous sommes par lui considérés comme justes» .
Mais peut-être quelqu'un me dira-t-il : «Comment donc affirmez-vous que la foi nous est imputée à justice ?» Saint Paul l'affirme à plusieurs reprises, et c'est pour cela que je l'affirme, moi aussi. La foi est imputée à justice à tout croyant, savoir la foi à la justice de Christ, ce qui est absolument ce que nous avons déjà dit; car, en employant ces termes, je veux seulement dire que nous sommes justifiés par la foi et non par les oeuvres, ou bien encore que celui qui croit est pardonné et reçu par Dieu uniquement à cause de ce que Jésus-Christ a fait et a souffert.
-- «Mais le croyant n'est-il pas enveloppé ou revêtu de la justice de Christ ?» Oui, incontestablement ; et c'est pour cela que tout coeur croyant peut adopter le langage du cantique cité plus haut et qui signifie : Pour l'amour de la justice active et passive, je suis pardonné et reçu par Dieu.
-- «Mais ne devons-nous pas quitter les misérables haillons de notre justice propre avant d'être revêtus de la justice sans tache de Christ?» Oui, certainement c'est-à-dire, pour parler simplement, que nous devons nous repentir avant de pouvoir croire à l'Evangile. Il faut que nous ne comptions plus du tout sur nous-mêmes pour pouvoir nous appuyer véritablement sur Jésus-Christ. Si nous ne commençons pas par renoncer à toute confiance en notre propre justice, nous ne saurions avoir une confiance sincère en la sienne. Aussi longtemps que nous comptons sur quelque chose que nous pouvons faire, il est impossible que nous mettions une foi entière en ce que Jésus a fait et a souffert. D'abord, il nous faut nous regarder nous-mêmes comme condamnés à mort (2Co 1:9);» puis, nous pourrons croire en celui qui a vécu et est mort pour nous.
-- «Mais ne croyez-vous pas à une justice inhérente ?» Oui, sans doute ; mais en la mettant à sa place, c'est-à-dire non comme moyen de trouver grâce devant Dieu, mais comme fruit de cette bénédiction, non comme tenant lieu de la justice imputée, mais comme en étant la conséquence. Je crois, en effet, que Dieu met sa justice en tous ceux auxquels il l'a imputée. Je crois que «Jésus-Christ nous a été fait, de la part de Dieu, sanctification aussi bien que justice (1Co 1:30)» c'est-à-dire qu'il justifie mais aussi sanctifie tous ceux qui croient en lui. Ceux à qui la justice de Christ a été imputée sont rendus justes par l'Esprit de Christ, sont «renouvelés et créés à l'image de Dieu dans une justice et une sainteté véritables. ( Eph 4:23,24).»
- «Mais ne mettez-vous pas la foi à la place de Christ et de sa justice?» Aucunement ; je prends bien soin de mettre chaque chose à sa place. La justice de Christ est le fondement unique et entier de toutes nos espérances. C'est par la foi que, sous l'action du Saint-Esprit, nous pouvons bâtir sur ce fondement. Dieu nous donne cette foi, et dès ce moment nous sommes reçus par Dieu, non pas pourtant à cause de cette foi, mais à cause de ce que Jésus a fait et a souffert pour nous. Vous le voyez, chacune de ces choses est à sa place, et aucune d'elles n'est en conflit avec les autres. Nous croyons, nous aimons et nous nous efforçons de marcher sans reproche dans tous les commandements du Seigneur ; mais, tout en vivant ainsi, nous renonçons à nous-mêmes et cherchons notre refuge dans la justice de Jésus. Nous regardons sa mort comme notre unique fondement, et c'est au nom de Jésus que nous réclamons notre pardon et le salut éternel.
Je ne nie donc pas davantage la justice de Christ que je ne nie sa divinité: et l'on aurait aussi peu de raison de m'accuser de la première de ces a choses que de la seconde. Je ne nie pas non plus l'imputation de cette justice : sur ce point-là encore on m'accuse faussement et méchamment. J'ai toujours proclamé et je proclame encore constamment que la justice de Christ est imputée à quiconque croit. Qui sont d'ailleurs ceux qui le nient? Ce sont tous les incrédules, baptisés ou non, tous ceux qui osent dire que le glorieux Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ est une fable composée avec artifice; ce sont tous les Ariens et tous les Sociniens : ce sont tous ceux qui nient la divinité absolue du Seigneur qui les a rachetés. Ceux-là ne peuvent faire autrement que de nier sa justice divine, puisqu'ils le considèrent comme un simple homme; et ils nient sa justice humaine, en tant qu'imputée à qui que ce soit, car ils croient que chacun trouve grâce par sa propre justice.
La justice humaine de Christ, tout au moins quant à son imputation et comme la cause unique et parfaite de la justification du pécheur devant Dieu, est aussi reniée par tous les membres de l'Eglise de Rome qui sont conséquents avec les principes de leur Eglise. Mais il y en a certainement parmi eux beaucoup qui, en fait d'expérience religieuse, valent mieux que leurs principes, et qui, tout en étant bien éloignés de parler de ces vérités d'une façon satisfaisante, ont une expérience intime bien supérieure à ce qu'ils savent exprimer. Tout en n'ayant à l'égard de cette grande vérité que des vues et un langage qui sont erronés, ils n'en croient pas moins du coeur, et, ils s'appuient sur Jésus-Christ seul en vue de leur salut présent et éternel.
On peut ajouter à ceux-là les membres des Eglises réformées, auxquels on applique ordinairement le nom de Mystiques. Un des principaux, dans ce siècle, a été, en Angleterre, M. Law. C'est une chose bien connue qu'il niait absolument et hautement l'imputation de la justice de Christ, tout aussi hautement que ce Robert Barclay qui ne craignait pas de dire : «Justice imputée, absurdité imputée !» Le gros de la communauté à laquelle on donne le nom de Quakers partage les mêmes vues. D'ailleurs, la plupart de ceux qui se considèrent comme membres de l'Eglise anglicane ignorent complètement ces choses, ne savent rien de la justice imputée de Christ, ou bien ils la nient, et la justification par la foi du même coup, comme étant contraires à la pratique des bonnes oeuvres. Il y a encore à ajouter à cette énumération un grand nombre de ceux qu'on appelle communément Anabaptistes, et des milliers de Presbytériens et d'Indépendants, que sont venus récemment éclairer les écria du docteur Taylor. Je ne me sens pas appelé à juger ces derniers : je les laisse au jugement de celui qui les a créés. Mais quelqu'un oserait-il affirmer que tous ces Mystiques, et M. Law en particulier, tous ces Quakers, tous ces Presbytériens, tous ces Indépendants et tous ces Anglicans, dont les opinions ou le langage laissent à désirer, ne possèdent aucune connaissance expérimentale de la religion chrétienne, et qu'ils sont conséquemment dans un état de perdition, «n'ayant point d'espérance, et étant sans Dieu dans le monde? (Eph 2:12)» Quelles que soient la confusion de leurs idées et l'incorrection de leur langage, ne peut-il pas y en avoir beaucoup parmi eux dont le coeur est droit devant Dieu et qui de fait connaissent «l'Eternel notre justice ?»
Quant à nous, béni soit Dieu I nous ne sommes pas de ceux qui ont, à l'égard de cette doctrine, des idées obscures ou un langage incorrect. Nous ne renions ni le fait ni l'expression ; mais, pour cette dernière, nous ne cherchons pas à l'imposer aux autres. Qu'ils l'emploient, ou bien tel ou tel autre terme qui leur paraît plus entièrement biblique, peu importe, pourvu que leur âme ne se confie qu'en ce que Jésus-Christ a fait et a souffert, et n'attende que de là le pardon, la grâce et la gloire. Je ne saurais mieux rendre mes sentiments à cet égard qu'en citant ces paroles de M. Hervey, qui mériteraient d'être écrites en lettres d'or : «Nous ne nous préoccupons pas de faire adopter une série particulière de termes religieux. Que les hommes s'humilient aux pieds de Jésus comme des criminels repentants, qu'ils s'appuient sur ses mérites comme sur leur ressource la plus chère, et ils sont incontestablement dans le chemin de la vie éternelle.
Est-il nécessaire, est-il possible d'en dire davantage? Tenons-nous en à cette déclaration, et toute discussion au sujet des diverses façons de s'exprimer est comme coupée à la racine. Oui, tenons-nous en à ces paroles:
«Tous ceux qui s'humilient aux pieds de Jésus comme des criminels repentants et s'appuient sur ses mérites comme sur leur ressource la plus chère, sont dans le chemin de la vie éternelle.» Après cela, sur quoi disputerait-on ? Qui est-ce qui nie cela ? Ne pouvons-nous pas tous nous rencontrer sur ce terrain? A propos de quoi nous querellerions-nous? Voici un homme de paix qui propose aux parties belligérantes les fermes d'un accommodement. Nous ne demandons pas mieux, et nous les acceptons, les signons des deux mains et de tout coeur. Et si quelqu'un refuse d'en faire autant, mettez une marque à côté du nom, de cet homme ; car il est un ennemi de la paix, il trouble Israël, il nuit à l'Eglise de Dieu.
Tout ce que nous craignons en ceci, c'est que quelqu'un ne se serve de ces expressions : «La justice de Christ», «la justice de Christ m'est imputée», comme d'un manteau pour couvrir son iniquité. Nous avons vu cela mille fois. Un homme, par exemple, est repris à cause de son ivrognerie; «Oh ! répond-il, je ne prétends pas du tout être juste par moi-même ; c'est Christ qui est ma justice.» On dit à un autre que «les injustes et les ravisseurs n'hériteront. point le royaume de Dieu (1Co 6:9,10).» Il répond avec une assurance parfaite : «En moi-même je suis injuste, mais j'ai en Christ une justice sans tache». Et c'est ainsi qu'un homme a beau n'avoir de chrétien ni les dispositions ni la conduite, il a beau ne rien posséder des sentiments qui étaient en Jésus-Christ et ne marcher en rien comme il a marché, il n'en résiste pas moins victorieusement à toute accusation ; car il a pour cuirasse ce qu'il appelle «la justice de Christ».
C'est pour avoir vu bien des cas déplorables de ce genre que nous tâchons de ne pas abuser de ces expressions. Et je sens que je dois vous avertir, vous qui en faites un usage fréquent ; je dois vous supplier, au nom du Dieu sauveur auquel vous appartenez et que vous servez, de mettre tous ceux qui vous entendent en garde contre l'abus de telles expressions. Avertissez les (peut-être écouteront-ils votre voix!) de ne pas «demeurer dans le péché afin que la grâce abonde (Ro 6:1),» de ne pas faire «Christ ministre du péché (Gal 2:17),» de ne pas anéantir ce décret solennel de Dieu : «Sans la sanctification, personne ne verra le Seigneur (Heb 12:14),» et cela en se persuadant faussement qu'ils sont saints en Christ. Dites-leur que, s'ils demeurent dans l'iniquité, la justice de Christ ne leur servira de rien. «Criez à plein gosier» (Esa 58:1) (n'y a-t-il pas lieu de le faire ?) que la justice de Christ nous est imputée précisément «afin que la justice de la loi soit accomplie en nous (Ro 8:4),» et afin «que nous vivions dans le siècle présent dans la tempérance, dans la justice et dans la piété (Tit 2:12).»
III
Il ne me reste plus qu'à faire une application brève et directe de ce que je viens de dire. Tout d'abord, je m'adresserai à ceux qui font une violente opposition à l'emploi des termes que nous venons d'expliquer et sont tout disposés à condamner comme antinomiens tous ceux qui s'en servent. Mais n'est-ce pas là trop redresser l'arc et le courber en sens contraire ? Pourquoi condamner tous ceux qui ne parlent pas absolument comme vous? Pourquoi leur chercher querelle parce qu'ils emploient les expressions qui leur conviennent, ou pourquoi vous en voudraient-ils de ce que vous faites de même? Si l'on vous tracasse à cet égard, n'allez pas imiter une étroitesse que vous blâmez. Et dans ce cas, laissez-leur la liberté qu'ils devraient vous laisser. D'ailleurs, pourquoi se fâcher contre une expression? -- «Mais on en a fait abus! Et de quelle expression n'a-t-on pas abusé ? Ainsi, il faut empêcher l'abus, mais non supprimer l'usage. Par-dessus tout, n'allez pas oublier l'importante vérité que ces termes expriment : «Toutes les bénédictions dont je jouis, toutes les espérances que je possède dans le temps et pour l'éternité, tout cela m'est donné entièrement et uniquement pour l'amour de ce que Jésus a fait et, a souffert pour moi !»
En second lieu, je veux dire quelques mots à ceux qui tiennent beaucoup à employer les expressions en question. Laissez-moi vous demander si vous ne trouvez pas que je suis allé assez loin. Que peut-on raisonnablement désirer de plus ? J'accepte tout entier le sens que vous attachez à ces termes, c'est-à-dire que nous devons toutes nos grâces à la justice de Dieu notre Sauveur. Je consens, d'ailleurs, à ce que vous vous serviez de telle ou telle expression que vous préfèrerez et à ce que vous la répétiez mille fois, pourvu que vous n'en fassiez pas le pernicieux usage contre lequel vous et moi devons également protester. Pour moi, j'emploie fréquemment cette expression de justice imputée, et souvent je l'ai mise sur les lèvres de tout mon auditoire (Par ses cantiques – Trad.). Mais laissez-moi à cet égard ma liberté de conscience ; laissez-moi exercer mon jugement en toute liberté. Qu'il me soit permis d'employer ces termes toutes les fois qu'ils me sembleront préférables à d'autres ; mais ne vous emportez pas contre moi si je ne trouve pas bon de répéter la même formule toutes les deux minutes. Vous pouvez le faire, si vous y tenez ; mais ne me condamnez pas si je ne le fais pas. N'allez pas pour cela me faire passer pour un papiste ou pour «un ennemi de la justice de Christ.» Supportez-moi, comme je vous supporte, sans quoi nous n'accomplirons pas la loi de Christ. Ne poussez pas les hauts cris et ne vous mettez pas à proclamer que je renverse les bases du christianisme. Ceux qui me traitent ainsi me traitent bien injustement : que le Seigneur ne le leur impute point! Depuis de longues années, je pose le même fondement que vous; «car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, qui est Jésus-Christ. (1Co 3:11)» Et sur ce fondement je bâtis, comme vous le faites, la sainteté intérieure et extérieure, mais la sainteté par la foi. N'entretenez donc point en vos coeurs de l'éloignement, de la malveillance, ou même de la méfiance et de la froideur à mon égard. Même en admettant qu'il y eût entre nous divergence de vues, à quoi nous sert notre religion, si nous ne pouvons pas penser librement et laisser les autres faire de même? Pourquoi ne me pardonneriez-vous pas aussi volontiers que je vous pardonne? Mais, là vrai dire, il n'y a entre nous que des différences d'expression, et à peine cela, puisqu'il s'agit seulement de savoir si l'on emploient plus ou moins fréquemment un terme particulier. Assurément, il faut avoir bien envie de se quereller pour trouver là une pomme de discorde. Oh ! ne fournissons plus, pour de semblables bagatelles, à nos adversaires communs une occasion de blasphémer ! Otons plutôt désormais tout prétexte à ceux qui ne cherchent qu'un prétexte. Unissons enfin (et que ne l'avons-nous fait plus tôt !) unissons nos coeurs et nos mains pour servir notre glorieux Maître. Puisque nous avons «un seul Seigneur, une seule foi, une seule espérance par notre vocation, (Eph 4:4,5)» fortifions-nous les uns les autres en notre Dieu, et, d'un seul coeur comme d'une même bouche, confessons au monde entier «l'Eternel notre justice !»